L'histoire :
Par une chaude journée d’été de l’année 1864, le vieux Joseph remonte de la ville jusqu’à son village de l’Aude (Pyrénées) par un pénible et rocailleux sentier. Depuis que le pont de la route a été coupé, c’est là l’unique et interminable moyen de rejoindre la « civilisation ». En arrivant en haut, il donne des nouvelles à chacun, car il est maire de ce petit village perché. La négociation du bois pour le père Roussel, la vente (ratée) de la bague pour le vieux Brunelin, qui a besoin de fonds… Et dans la mesure du possible, Joseph essaie de contenir les rivalités décennales qui se trament entre ces deux familles. Puis Joseph est étonné de trouver son fils Jean en train de lire tranquillement chez eux. Ce couillon s’est blessé à la main avec une faucille, en aidant Motus, le muet du village. Malgré la fatigue, malgré le soleil, Joseph part donc le remplacer dans le prat de la péira, parce que le boulot ne va pas se faire tout seul. Mais à peine le premier coup de faux donné, Joseph a une crise cardiaque et s’écroule dans les blés. Muet, Motus ne peut héler à l’aide. Il reste interdit, hésitant… et de toute façon, c’est trop tard. Dans les jours qui suivent, on se demande comment on va enterrer Joseph. L’église étant écroulée depuis des années, le curé refusera de monter jusqu’à eux… Malgré les dissensions, le fils Roussel, le fils Brunelin, Motus et un certain Jules se dévouent pour descendre le cercueil à mi-chemin, jusqu’à la « pause des morts », où se trouve un crucifix. Il suffit que le curé monte jusque-là, ce qu’il acceptera forcément. Pendant qu’ils se préparent à ce périple, le jeune Jean descend avertir le curé. Mais la météo va s’en mêler… ainsi que de terribles révélations…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La violence du titre, « Charogne », tranche singulièrement avec les premières planches de cette chronique rurale, qui souffle initialement des airs de Pagnol ou de Giono. Ça sent le soleil, la rocaille, les cigales, la paysannerie endurcie et solidaire. Mais Joseph, le maire du village, personnage rondouillet et bienveillant, a la bonne idée de mourir dans les premières planches de ce one-shot… et il lance ainsi une problématique qui n’aura de cesse de se creuser et de se révéler terrible... et finalement finement raccord avec le titre à double sens. Nous suivons donc une délégation de 4 hommes qui descendent un cercueil par un sentier difficile, afin que le corps de Joseph soit béni. Le traditionalisme de l’intention est louable, mais il se confronte à l’âpre réalité du terrain, dans un premier temps… puis à la pathétique vérité des comportements, dans un second temps (on essaie de ne pas en révéler de trop...). Le scénario de Benoît Vidal et Borris est jouissivement retors. Aux révélations terribles qui se manifestent, encouragées par les efforts bavards des porteurs, se joignent des circonstances en adéquation avec le sordide de la trame. Entre semi-réalisme et caricatural, le dessin dynamique de Borris se dévoile lui aussi au travers d’un noir et blanc ad hoc, et d’un lavis légèrement ocre, pour l’aspect carte postale ancienne. Le joli boulot d’ambiance et de mise en scène alterne tantôt des perspectives de biais, tantôt des profondeurs, tantôt des silences éloquents… On ressort de cette histoire haletante et sacrément bien tournée avec une forte amertume en tête quant à la nature humaine.