L'histoire :
Hubert est un journaliste français freelance en vacances dans les Cévennes. Il est contacté par journal américain « Struggle » pour un ambitieux projet international sur les migrants, les futurs clandestins. Le but est d'envoyer des hommes à la recherche d'informations dans les zones où se déclenchent des flux d'émigration, d'en étudier les mécaniques, d'en démasquer les enjeux. Pour Hubert, ce sera l'Algérie, pays dans lequel il pourra compter sur l'aide de Paul, un ami déjà présent sur place. Leur premier rendez-vous est une énorme surprise. Lorsqu'ils sont reçus par le patron local de l'agence pour l'emploi, ce dernier leur explique en toute transparence comment l'Europe apporte son soutien à l'Algérie et au Maroc pour organiser des transferts de main d'œuvre vers les plantations du sud de l'Espagne. En période de cueillette de légumes, ce sont ainsi des dizaines de milliers de paires de bras qui rejoignent les immenses serres où poussent les fruits et légumes les plus divers, qui arriveront en toute saison sur les étals des supermarchés européens. La candeur des explications, la transparence des coopérations en place laissent les deux journalistes sans voix. Lorsqu'ils se font conduire en centre ville par une jeune femme, ils trouvent l'occasion du premier entretien d'Hubert. La jeune femme est kinésithérapeute et exerce dans les grands hôtels de la ville ; mais son frère ingénieur ne parvient pas à trouver du travail. Sans relations, sans moyen d'user de corruption, il est condamné au rêve de nombreux jeunes algériens : l'émigration vers l'Europe. Lorsque Hubert le rencontre, le jeune homme lui explique son plan...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cette fiction-reportage entre le nord de l'Afrique et le sud de l'Espagne est limpide dans les explications qu'elle fournit sur les enjeux terriblement cyniques des transferts de main d'œuvre entre pays voisins. Elle surprend également par la perplexité qu'elle suscite, tant l'ensemble des acteurs semblent se satisfaire d'un système choquant. Jusqu'aux ouvriers agricoles eux-mêmes, qui semblent parfois préférer les conditions de travail et de logement désastreuses d'Almeria, à l'ennui sans avenir des rues algériennes. A l'image de certains articles du Monde Diplomatique (dont des journalistes ont contribué au travail de l'auteur), Clandestino pose autant de questions qu'il apporte d'informations. C'est une des forces de ce travail qui, bien qu'il prenne évidemment parti en dénonçant le traitement infligé aux clandestins, n'utilise aucune facilité pour symboliser le bien et le mal. Les exploitants agricoles ne sont pas montrés, les personnages principaux ne font pas preuve d'héroïsme, le monde est décrit tel qu'il est, complexe et multiforme, souvent anonyme. Cette approche relativement distanciée renvoie les questions à leur dimension politique et sociale, évite de les simplifier à travers un affrontement individuel. Jusqu'à questionner le lecteur lui-même, qui achète de superbes tomates rouges en plein mois de décembre, ou des fraises andalouses à prix toujours très très bas. Aurel réalise un travail difficile en rendant lisible et fluide ce reportage dessiné. En insérant dans l'album une dimension humaine entre Hubert et les jeunes femmes qu'il rencontre, il rapproche le lecteur de son propos, lui donne une forme de légèreté très utile. Plutôt atypique dans son approche, cet album instructif est plaisant dans la forme, et donne évidemment envie d'en savoir plus sur les enjeux qu'il décrit.