L'histoire :
Décembre 1948, dans une boutique de comics de Los Angeles. Wilbur H. Arbogast, ancien auteur à succès tombé dans l’oubli, feuillette le dernier numéro d’Outstanding Science Fictions, édité par John Rockwell Publications. Derrière lui, un inconnu l’interpelle : Morris Millman. Il lui rappelle qu’à une convention à San Diego, dix ans plus tôt, Arbogast lui avait donné un conseil qui l’avait marqué. Sans lever les yeux de son magazine, l’écrivain répète mot pour mot ce qu’il lui avait dit à l’époque, avant d’ajouter que c’est ce qu’il disait à tous ses fans. Morris ne se démonte pas : il se présente comme agent littéraire et lui propose de relancer sa carrière. Arbogast balaie l’idée. Il affirme n’avoir rien publié depuis 1942, toucher une pension d’invalidité militaire… et être mort cette année-là. Sur un ton calme, presque détaché, il commence alors à raconter sa propre mort : le moment où son âme s’est séparée de son enveloppe charnelle pour franchir un portail entrouvert et accéder à la connaissance absolue...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec Electric Miles, Fabien Nury nous entraîne dans le Los Angeles de 1949, à une époque où le glamour d’Hollywood côtoie les recoins les plus troubles de l’âme humaine. On y suit Morris Millman, jeune agent littéraire idéaliste, qui croise la route de son idole déchue : Wilbur H. Arbogast, ancien auteur désormais en marge. Ce point de départ ouvre la voie à une intrigue étrange et fascinante, où se mêlent ambitions littéraires, expériences mystiques, manipulations mentales et violences enfouies. L’ambiance est dense, troublante, parfois volontairement déroutante : le récit avance à contre-courant, dans une atmosphère de malaise feutré, presque hypnotique. Nury ne prend pas le lecteur par la main, et cela peut désarçonner. Il faut s’accrocher pour rester dans ce monde à la fois mental et mystique qu’il dépeint. L’intrigue, éclatée et par moments hermétique, exige une lecture attentive et patiente. Loin d’un polar classique, Electric Miles se vit comme une expérience narrative, ce qui pourrait refroidir certains lecteurs en quête d’un récit plus linéaire. Mais ceux qui acceptent de se perdre dans ses méandres découvriront une œuvre riche, tendue, nourrie par une réflexion sur la création, la mémoire et la manipulation. Le dessin de Brüno est immédiatement reconnaissable : lignes nettes, aplats de noirs profonds, et personnages aux silhouettes stylisées, presque iconiques. Dans Electric Miles, son style atteint une intensité particulière. L’ambiance graphique est lourde, moite, parfaitement raccord avec le climat mental du récit. On sent le poids de la ville, des regards, des silences. Le trait, minimaliste mais expressif, restitue la tension sourde qui habite les pages. Brüno reste fidèle à son approche visuelle, déjà présente dans Tyler Cross, mais il y insuffle une dimension plus intérieure, presque mystique. Le découpage des planches alterne entre rigueur cinématographique et moments de rupture sensorielle, comme si le dessin suivait le flux mental des personnages. La colorisation, riche en contrastes, joue avec les teintes chaudes et sombres pour créer des ambiances changeantes, qui accompagnent les glissements du réel vers l’onirique. Les auteurs donnent naissance à un polar singulier, à la croisée du roman noir et de l’odyssée intérieure. Un album envoûtant, à la narration syncopée, comme un solo de trompette halluciné.