L'histoire :
Dans un appartement, un jeune couple s’agace et s’inquiète d’entendre encore hurler l’enfant des voisins. La jeune femme va sonner à la porte. Un homme leur ouvre et explique que la petite fait des comédies pour dormir et qu’ils refusent de rentrer dans son jeu. La porte se referme. L’homme impose le silence à sa fille, dans le lit pour bébé de sa chambre, d’une injonction. Puis il retourne face à la porte de la salle de bain où s’est réfugiée son épouse. Accroupie, recroquevillée sur elle-même, dans le noir après qu’il eut retiré le plomb sur le panneau électrique, elle culpabilise, elle attend que ce mauvais moment passe, comme tous les soirs. Plus tard, au milieu de la nuit, tandis que son mari s’est enfin assoupi sous l’effet de l’alcool, elle sort et improvise un matelas pour dormir au pied du lit de sa fille. Le matin, l’homme part rapidement au boulot. Après le petit-déjeuner, la mère passe par la salle de bain pour maquiller les hématomes sur ses joues. Puis elle appelle l’école pour prévenir que sa fille n’ira pas aujourd’hui, qu’elle est malade (le gros mensonge !). Elles ont trop besoin de tendresse toutes deux. La journée se déroule alors entre jeux et câlins… tandis que la mère réfléchit à une solution pour échapper à la fureur quotidienne de son mari…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ce one-shot en noir et blanc, au format « roman graphique » aborde la question de société honteuse et pourtant terriblement courante de la violence conjugale. L'album est paru une première fois en 2009, sous la bannière Drugstore... mais les violences conjugales demeurent en 2021 un grave sujet de société. Il est souvent tabou dans les discussions mondaines, toutefois le jeu de faux-semblant qui en résulte est très schématique pour les services sociaux qui se retrouvent à le gérer. En général, la violence du mari s’accompagne d’alcool, le silence de l’épouse de dissimulation et de culpabilité. En général, jusqu’à ce que l’épouse battue ose révéler la chose, l’entourage ignore que cela se passe ainsi dans l’intimité du foyer. Il est aussi à noter que ce type de problème surgit dans toutes les couches sociales, aussi bien chez les « prolétaires » que chez les « bourgeois ». Dans le récit scénarisé par Loïc Deauvillier, on n’échappe donc pas à ces poncifs… le problème des maris violents est en fait un véritable cliché. La femme battue passe ici par le cheminement intellectuel classique : renfrognée, elle culpabilise, se raccroche à l’amour de son enfant et encaisse, sans trouver d’issus à son problème. S’enfuir, certes, mais pour où ? Et si elle est obligée de revenir ? Et quid du regard des autres ? Pour le moment, personne ne soupçonne rien, ne vaut-il pas mieux rester comme ça ? Le mari tient quant à lui un rôle exécrable, accumulant une quantité impressionnante de défauts : il est alcoolique, il frappe sa femme, la méprise, l’insulte et l’humilie devant ses amis… Le tout est mis en relief à l’aide d’un encrage noir et blanc limpide et précis, avec la sobriété idoine, par Jérôme d’Aviau, dessinateur polymorphe. Celui-ci est en effet tout aussi capable de participer à un recueil érotique comme Première fois, que d’animer la série jeunesse Ange le terrible (sous le pseudo Poipoi), que d’aborder ce sujet social grave, sordide et poignant. La violence conjugale a désormais son référent dans le 9e art.