L'histoire :
Dans un futur proche, Le Havre est devenu une zone de transit pour des Européens en quête d’Eldorado. L’Écosse fait partie de ces destinations qui accueille des réfugiés. Mais les services d'immigration de cette contrée britannique sont terribles. Des criminels de guerre et des traumatisés de guerre se glissent parmi les réfugiés. Les douanes écossaises les traquent et les rejettent grâce aux fichages. Le port du Havre regorge de candidats au départ, mais seuls les détenteurs de pass spéciaux, intégrés à leurs passeports, peuvent espérer embarquer. La police veille, impitoyable face à toute tentative d’intrusion. Raph, passeur chevronné, reçoit pour mission de guider un petit groupe vers l’embarquement : le professeur Zizek, ainsi que Livia et Francesca, deux sœurs déterminées à fuir. Pendant ce temps, Liam, sans pass ni autorisation, brave les grillages, échappe aux chiens et aux forces de l’ordre, se fondant dans la foule des migrants en quête d’espoir. Tandis qu’un chalutier approche, l’excitation et la tension gagnent ceux qui rêvent de départ. Liam réussit à subtiliser le passeport de Francesca et parvient à embarquer sur le chalutier, abandonnant la jeune femme sur le quai. À bord, on découvre que Raph n’est pas seulement chargé de leur passage clandestin, mais aussi de les conduire jusqu’à destination, Reykjavik. Pour accomplir sa mission, il devra prendre lui-même les commandes du navire.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après Juarez, Rio et une incursion dans l’univers thorgalien, Corentin Rouge met le cap sur l’Islande en compagnie de l’excellent Caryl Férey. Ensemble, ils signent ce récit aussi dense qu’ambitieux, dans la lignée de leur précédent album, Sangoma. Ce duo, maître du suspense et de l’action, explore une fois de plus des enjeux politiques et sociaux qui transcendent leur intrigue. Caryl Férey, fidèle à son style, ancre son récit dans un futur proche, avec une thématique universelle et intemporelle : les migrations. Les échos contemporains résonnent puissamment, qu’il s’agisse de la gestion des réfugiés syriens ou des politiques anti-immigration aux États-Unis. À travers cet univers dystopique, l’auteur interroge l’humanité : ne sommes-nous pas tous, quelque part, des migrants en quête d’un Eldorado ? L’histoire plante un décor riche, avec une tension narrative omniprésente. Le mystère plane autour des personnages, à commencer par le professeur Zizek, dont le rôle promet d’être central dans les épisodes à venir. Livia et Francesca, sœurs inséparables, Raph le passeur et Liam l’opportuniste, forment une galerie complexe de protagonistes qui incarnent chacun une facette de cette société fracturée. Du côté islandais, Erika et son frère, loyaux à un ordre autoritaire, complètent ce portrait d’un monde en proie aux divisions. S’ajoutent également Elektra Barentsen, la barmaid activiste, Uffe Barentsen, membre influent du gouvernement islandais, et Mr Bergson, son opposant. Ces personnages enrichissent une intrigue où le politique se mêle à l’intime, dessinant un tableau implacable des tensions et luttes de pouvoir qui traversent ce monde dystopique. Les graines d’un puzzle complexe sont semées avec soin, promettant une montée en puissance narrative et émotionnelle. Ce récit à tiroirs s’appuie aussi sur une mise en scène graphique magistrale signée Corentin Rouge. Chaque planche, pensée comme un storyboard abouti, déploie une puissance visuelle qui confère à l’histoire une dimension cinématographique. Les cadrages, notamment ceux du centre de détention au bord de mer à Reykjavik, exploitent habilement plongées et contre-plongées, accentuant la tension narrative. Rouge capte avec une précision chirurgicale les regards et attitudes des personnages, comme celui de Francesca, dévastée lorsqu’elle réalise qu’elle ne pourra embarquer sur le bateau. Islander ne vous laissera pas de glace.