L'histoire :
Ce jour-là, Tipôme et Bumble, deux copains « infectes » (il s’agit du nom de leur race, cousine des insectes, pas de leur mentalité) découvrent un corps inconscient, mais vivant, échoué sur la plage. Pour éviter que cet inconnu soit rapidement mangé par un prédateur, ils prennent leur courage à deux mains et le tirent par les pieds jusqu’à l’entrée de leur terrier. Un plaid et une bouillotte plus tard, le naufragé revient à lui. Tout en récupérant quelques forces, il se présente : Topuf, il vient du continent Neuropa. Le bateau sur lequel il se trouvait avec son fils a été broyé par une terrible tempête. Il pleure son fils, certainement mort en mer ou bouffé par les prédateurs sur ces rivages d’Oudropa. Bien qu’ils comprennent rapidement que Topuf est inoffensif, Tipôme et Bumble trouvent cette arrivée suspecte : non seulement les prédateurs l’ont laissé indemne, mais en plus il remplit en tous points la description de la prophétie : « leur monde sera bouleversé par quelqu’un venu de l’extérieur ». Topuf, lui, n’y pipe rien. Tout ce qu’il veut, c’est maximiser les chances de retrouver son fils. En marge de cela, le Mossilien, un leader infecte de condition supérieure, informe Tipôme et Bumble qu’ils doivent mener Topuf jusqu’au sommet de la « Pire Ainée », une lointaine et vertigineuse montagne, s’ils veulent que la prophétie s’accomplisse. Bientôt grâce aux disciples du Mossilien, la rumeur que « l’élu » est parmi le petit peuple se répand comme une trainée de poudre. Pour participer au grand bouleversement, des infectes de tous horizons se mettent à converger vers la Pire-Ainée, bravant les rigueurs de l’hiver…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Si vous deviez vous exiler sur une île déserte et que vous ne pouviez emporter avec vous qu’une seule BD, La proie serait un candidat potentiel. Non parce que c’est la meilleure, mais parce qu’elle vous occuperait les soirées d’au moins un ou deux trimestres. A notre connaissance, il s’agit même de la BD one-shot originale la plus longue jamais produite (hors recueils et intégrales). Dans une veine toute « trondheimienne » (dessin ultra simple, toujours lisible, mais rythmé pour ne jamais s’ennuyer), David de Thuin livre ce morceau de bravoure plus épais que le Gaffiot pour honorer les cinq ans de la collection 1000 Feuilles de Glénat. 1000 pages pile-poil pour 1000 Feuilles (logique), pour un total de 10 000 cases précisément (on n’a pas compté, on fait confiance à l’éditeur). Mais mettons un temps de côté cet exercice de style incomparable, pour distinguer le fond. Car à la mesure de cet inédit espace de liberté créative, de Thuin narre une vaste quête, en forme d’allégorie sur… la vie. Pas moins. L’univers est zoomorphe ou plutôt « insectomorphe » : des créatures d’apparences, de règnes, de forces, d’intelligences et de conditions bigarrés convergent ici pour soutenir une prophétie qui va « bouleverser tout un continent ». A travers la mobilisation soulevée chez toutes ces créatures, De Thuin en profite pour aborder des thèmes philosophiques majeurs comme la religion, le destin, l’espoir, le bonheur, le pouvoir, le progrès, le courage… voire les paradis artificiels, la fratrie entre les peuples du monde, l’organisation sociale et politique, l’équilibre naturel des espèces… (liste non exhaustive). Alternant les fils narratifs, l’auteur délaye certes largement la sauce par moment, pour offrir des respirations et atteindre son quota, mais au final, l’ouvrage incite bel et bien à la réflexion sans oublier de divertir. Et ça, c’est très fort.