L'histoire :
Eric erre, de plus en plus seul. Camé jusqu’au bout des ongles, il hallucine de plus en plus et voit régulièrement des flashs de peuples étranges et venus d’ailleurs. Avec les femmes, c’est pas la joie non plus : Karine est enceinte et n’a que faire d’un jeune dépravé comme lui. Sal n’est qu’une salope et ça doit avoir certainement un rapport avec son prénom. Marie est toujours aussi belle, mais distante et prise par David. La jeune sœur de Marie, la petite Lisa, a du potentiel… Allez un petit clin d’œil, ça ne coûte rien ! On ne sait jamais, dans quelques années… Il y a plus grave : le marché de la dope est compliqué. Ringo est intraitable et ne lâche pas Eric. Il y a même ce fumier de Denis… Non content de voler les copines des autres, il méprise Eric et n’aime pas la concurrence. C’est qui ce clown qui vend des ballons ? La journée va être longue…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Une fois de plus, Le roi des mouches est une expérience narrative. A travers le voyage halluciné dans le crâne de jeunes paumés, les auteurs nous font goûter la voix intérieure du désespoir, de la décadence et du mal-être. Ainsi, plusieurs narrateurs se succèdent, tous plus désœuvrés les uns que les autres : Eric est englué dans ses problèmes de drogue et sa frustration sexuelle ; Lisa est une jeune ado qui veut grandir trop vite ; Denis est un petit dealer minable qui résoudrait bien ses problèmes au napalm. Chapitre après chapitre, on suit le destin pathétique de ces minables, qui ne brillent que par l’argent facile, les voitures décapotables, la dope ou le stupre. Cette course tragique vers un bonheur impossible vaut surtout par un choix narratif des plus sidérants. Mezzo décloisonne le langage en multipliant les narrateurs et imite brillamment l’errance mentale de ses personnages. Eric parle par flash de clairvoyance, au gré de ses expériences de défonce. Tantôt hanté par des visions cauchemardesques peuplées de tripes à l’air, de bébé qui naît dans un accouchement sanglant ou de ronces qui emprisonnent l’être ; tantôt survolant la terre en rêvant de se plonger dans le sexe d’une femme au gré des balles de tennis qui fusent lors d’un match… Les paroles d’Eric sont de véritables moments de poésie hallucinée. Avec des images fulgurantes, le style se rapproche de William Burroughs pour le côté drogue et de Rimbaud pour le côté symbolique : « Je la rejoue ce soir, sans fausses notes… station-service, velours rouge, vandellas et chiens fouillant mes tripes… dans la cuisine, la table est dressée pour deux. Pile à l’heure me dit le micro-ondes ». Le style se fait encore plus moderne quand on suit le parcours de Lisa qui s’exprime en termes monosyllabiques, symboles mathématiques, langage textos et autres smileys… L’expérience textuelle se double d’un dessin halluciné et très sombre, où la couleur ne laisse aucune place à la lumière et où tout semble cradingue. Charles Burns n’aurait pu faire mieux… Ou pire ! Dans ce chaos de dégénérescence et d’évasion psychédélique, l’histoire continue tant bien que mal et les personnages se croisent pour mieux se déchirer. Même si l’on peut admirer l’incroyable modernité d’une telle œuvre, qui mime à la perfection la chute de jeunes toxicos, le style sombre et ultra moderne est tellement poussé à l’extrême qu’ on en devient vite saturé. Attention au bad trip !