L'histoire :
Adrian, qui a inexplicablement l’âge de quelques siècles, écrit une lettre d’adieu à sa chérie, Anna. Ils se sont rencontrés à New York, où ils vivent, à l’époque contemporaine. Il se raconte et son histoire est littéralement extraordinaire. Il a découvert, il y a donc très longtemps, qu’en embrassant, il aspire la part sentimentale/spirituelle de la personne, en plus d’une concentration forte de plaisirs fins et intenses. Mieux : en faisant l’amour avec toutes sortes de personnes, cela décuple ses forces, le ressuscite presque, et surtout lui donne des capacités inouïes et le privilège de traverser le temps. Sa vie commence à Venise au XVIIIème siècle. C’est là, qu’après une enfance pas très heureuse, il connaît ce « super pouvoir » en embrassant ses victimes consentantes. C’est grisant pour lui, sa vie est plus raffinée. Mais revers de la médaille, cela lui enlèvera des limites, en bien et en mal. De Venise il émigre à Constantinople, à l’époque siège d’un grand Empire. Par ses prodiges, il se met au service du Sultan, pourtant méfiant et cruel. Malgré ses pouvoirs, il n’échappe pas à la haine et la réprobation et doit fuir encore. Anna, qui a découvert son terrible secret, a le courage de l’aimer et de vouloir le sauver, mais est-ce possible ? Le voyage physique et spirituel continue, en Afrique, à Paris, avant une conclusion avec Anna, dans une spirale philosophique étourdissante. Que cherche-t-il et qu’a-t-il trouvé dans cette quête unique ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le dessinateur Yannick Corboz nous avait enchantés avec Les rivières du passé, par son graphisme enlevé et brillant, plus fort que le scénario. Son style enlevé et virtuose se met ici au service d’une histoire au long cours, complexe et parfois déstabilisante. L’auteur, Richard Malka, est avocat, notamment de l’équipe de Charlie Hebdo. Il s’est fait une spécialité de la défense du droit d’expression, donc de la Liberté avec majuscule pour la société. C’est un thème si actuel et si ancré chez l’auteur qu’il transpire en filigrane de l’histoire, avec les enjeux des limites personnelles, devoirs et place de l’autre. Son échappée en littérature vient interroger le libre-arbitre, la force et la légitimité du désir, l’accomplissement personnel, ce qui le rapproche de la légende et du conte. Pour ce long album (plus de 185 planches), le dessinateur-adaptateur nous fait voyager en terre connue et inconnue, et les endroits ne sont pas tous matériels. Sa mise en scène prend du temps et de l’espace pour se déployer. On y devine un investissement personnel total. Pour une telle entreprise, il a choisi un trait au crayon très alerte, mis en couleurs à l’aquarelle également vive, pour des ambiances très différenciées, qui vont des pastels doux de la calme Venise, aux fureurs intérieures ou orientales. Le rendu graphique nous égare parfois en installant des ressemblances ou des points communs entre personnages, y compris entre hommes et femmes. Par exemple, Adrian apparaît volontiers comme « androgyne » et certains cadrages peuvent évoquer une femme. Ce qui n’empêche pas le dessinateur de représenter les femmes avec une grâce qui laisse rêveur. Ces représentations, stylisations et parfois distorsions sont tout-à-fait compatibles avec le récit, et même, ils aident à le vivre. Au fil des pages, le rendu est d’une beauté époustouflante, rehaussée par la dimension du livre. L’éditeur a en effet opté pour un format peu courant, généralement réservé aux beaux livres, à la générosité luxueuse. Ce raffinement (conforme au propos et au traitement graphique) va jusqu’au soin d’une couverture spéciale et tranche-file. Il marque donc un évènement. Ce bel album n’est évidemment pas à lire d’une traite, ce qui permet de savourer pleinement sa mise en scène somptueuse, qui donne aussi à méditer. Un beau cadeau de fin d’année.