L'histoire :
C’est l’histoire d’un mec qui est né et a grandi dans la misère. Qui a commencé à bosser à 14 ans alors qu’il rêvait de devenir ingénieur. Le soir, il dessine des petits Mickey et il en publie certains dans le journal de son entreprise, le caviste Nicolas. Il a 18 ans. Il rencontre François Cavanna qui lui passe quelques dessins, même s’ils ne sont pas encore très bons. Il sera de l’aventure de Hara Kiri, d’abord sous le pseudonyme de Jiem, puis Giem. Il trouve sa « patte » en 1963, avec deux dessins à l’humour féroce sur les relations familiales. Il suffisait qu’il aille chercher en lui, puisqu’il avait vécu une enfance difficile, entre mère indigne et père absent. Son style est né. A la fois intime et universel, profondément intelligent et désabusé, amusant et torturé. Jean-Marc Reiser est raconté au travers de plus de 300 pages, de textes biographiques signés de Jean-Marc Parisis, de photos, de planches de ses albums, d’inédits, mais aussi de plans que celui qui s’était rêvé ingénieur esquissait, ou d’aquarelles. Un grand et beau livre, simple et facile à lire comme le trait d’un auteur pourtant complexe, au discours généreux.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
300 pages, c’est beaucoup et finalement c’est assez peu pour commémorer un demi-Dieu. Car Reiser en est un. Membre fondateur de Hara-Kiri, de Charlie-Hebdo, il collabore à Pilote, à l’Echo des Savanes, Lui, fait du dessin d’actu pour Le Monde et Le Nouvel Observateur aussi... En vingt ans de carrière, il aura touché à tout, et notamment au Grand Prix d’Angoulême. Ce livre lui rend un hommage complet. Sur son art d’abord, en délivrant ses crayonnés, ses essais d’ingénierie, ses aquarelles et ses dessins. Son trait est simple, mais il est d’une efficacité redoutable, ce qui fait dire à Enki Bilal : « Ce qui m’a toujours cloué dans son travail, graphique dans un premier temps, c’est l’incroyable économie du trait, pour un résultat d’une puissance inouïe. » Sur sa vie ensuite, en dressant un portrait complet de cet homme parti beaucoup trop tôt, emporté par un cancer des os à 42 ans. Sur ses combats enfin, en mettant en perspective ses dessins et ses histoires pour en dresser un portrait politique. Libertaire, anticlérical, féministe acharné, protecteur des animaux, défenseur des droits des opprimés, notamment des homosexuels, il s’élevait contre les injustices de la vie, contre le manque de logique des constructions de la société. Emporté contre les architectes responsables des horreurs banlieusardes, énervé contre les désastres écologiques causés par l’Homme, agacé par le manque de réflexion primaire des politiques publiques, Reiser est le meilleur promoteur de l’écologie sociale. Au fil des pages, on se prend à se demander : et si sa vie avait été plus facile ? Et s’il avait eu un père ? Et si sa mère l’avait mis dans de meilleures conditions pour ses études ? Serait-il devenu un génie de l’aéronautique comme il est un génie de la BD ? Ou quand le malheur d’un seul fait le bonheur de tous les autres… Mort depuis 30 ans, Reiser est d’une actualité féroce. Son discours sur la violence des pauvres entre eux fait froid dans le dos. Et cet album-hommage de Glénat est une très bonne nouvelle dans la grisaille de cette fin d’année.