L'histoire :
New York, dans un futur proche et décalé de notre réalité… Une limousine traverse le ghetto de Harlem, l’un des plus pauvres de la ville, uniquement peuplé de blancs. A bord, Tyrone Brown, un puissant et obèse homme d’affaires, et son conseiller, tous deux noirs, sont venus régler une transaction très particulière. Ils toquent à la porte de la famille Kosinski, qui les fait entrer dans un appartement sordide. Le deal consiste à échanger une pleine mallette de billets verts et un revenu mensuel confortable, contre… le fiston de 10 ans. Zack Kosinski, acheté pour son don de « prescience », monte dans la limousine et fait une première prédiction : un terrible accident de voiture, imminent. Le crash survient dans la seconde et laissera Brown en fauteuil roulant pour le restant de ses jours. 20 ans plus tard, Zack est l’un des plus gros salaires de la richissime multinationale de Brown et pour cause : la qualité de ses prédictions en ont assuré la fortune. Il assiste alors à un conseil d‘administration qui s’apprête à lancer un projet immobilier de grande envergure : Utopia. Néanmoins, lorsque sa hiérarchie requiert ses talents pour déterminer une date propice à l’inauguration, Zack ne « voit » que des images ultra-violentes d’insurrections. Il prétexte un « vide mental » et n’ose les révéler, car cet avenir potentiel lui parait totalement erroné par rapport à sa réalité : dans ses visions, les manifestants indigents sont noirs…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec son ambitieux concept Uchronie[s], Eric Corbeyran joue de manière jubilatoire avec nos certitudes. Surtout, il s’amuse à inverser intelligemment notre petite situation confortable de blancs occidentaux dominants. Le tome 1 nous proposait une vision de la société sous emprise intégriste islamique… Ce tome 2 nous plonge à présent au sein d’un monde dans lequel les noirs ont assouvi les blancs. Le Black Order, descendant des Black Panthers, contrôle en effet ici tous les postes clés de la société, tandis que les blancs tentent de se rebeller à travers un mouvement terroriste, la fraternité blanche ! A défaut de permettre l’appréciation entière du large potentiel politique et futuriste de cette série d’anticipation (pas évident en seulement deux tomes), le point de vue s’avère éminemment intéressant à l’heure où, pour la première fois, il est envisageable qu’un noir préside à la plus grande puissance de la planète (dans notre réalité… réelle ?). Savamment rythmé et huilé, le récit se laisse dévorer, tandis que le schéma global des mondes parallèles commence à se dessiner. Un bémol, toutefois : le trait réaliste de Tibery est bien en deçà de la prestation d’Eric Chabbert (sur la trilogie New Byzance) et de celle attendue de Djilalli Deffali (sur la trilogie New York). Quelques proportions et faciès sont discutables (hou, les yeux de Graziella…), quelques séquences semblent dessinées de manière bâclée… En outre, le récit se complait à plusieurs reprises dans des scènes érotiques, narrativement dispensables (la p.25, 100% porno et muette ; la copine qui se baigne seins nus…). Au summum dans le registre, les yeux des lecteurs « sexuellement normaux » seront inévitablement attirés et détournés du récit par les nombreux détails qui jonchent la séquence de la boîte à partouzes (que celui qui n’a rien remarqué me jette la première pierre).