L'histoire :
Un bigleux à la prose incertaine s’excuse auprès du lecteur de son expression approximative. Cet homme, qui s’avère ressembler trait pour trait à Jean-Paul Sartre, écrivait vivant, et continue d’écrire dans l’au-delà, malgré les escargots volants qui se repaissent du sang des trépassés. Il vit dans la ville d’Achéron-la-Blême, une cité composée d’immeubles taillés dans des Moaï et qui s’étend à l’infini tout le long de la berge du Styx. Elle est gardée par des Nevermore, des sortes de harpies à têtes de corbeaux. Tous les jours, qu’il appelle tous dimanche, Sartre va jeter une bouteille dans le Styx, avec un récit à l’intérieur. Ce jour-là, il rencontre un pêcheur qui l’apostrophe. Nietzsche, pour ne pas le citer, se lie d’amitié avec son homologue philosophe. Les voilà dissertant de l’existence de Dieu et de l’au-delà. Mais Sartre a du mal à s’exprimer, car il a tenté de traverser le Styx et il en est ressorti diminué intellectuellement, ce qui l’empêche désormais de lire sa prose devant le club littéraire où on se moque de lui. Il a pourtant des choses à dire, car il recueille les histoires des Ayants-été qui débarquent dans la ville. Les histoires sont glauques, morbides, et Nietzsche est bien marri de voir son nouvel ami prêt à lui raconter la première…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Quatre ans après Confessions sauvages, Philippe Foerster sort un nouveau one-shot intitulé cette fois Un air de gravité. Une nouvelle fois, il s’agit d’un narrateur qui va raconter des histoires courtes, Foerster étant un maître du récit à tiroirs. C’est un Sartre, pantin désarticulé et au cerveau complètement débilisé, qui nous raconte des histoires. Macabres, bien entendu. Doublement macabres, puisque Sartre parle d’un au-delà duquel il partage avec Nietzsche l’ambition de percer les mystères. Dieu mort, dieu inexistant ? Les débats existentialistes et naturalistes vont bon train pour connaître le cheminement de l’homme dans la mort. Cela n’empêche pas Sartre de raconter les histoires de certains morts, qui souffrent de disparitions violentes, cyniques, souvent saugrenues. La capacité de Foerster à faire rire sur des monstruosités est hallucinante. Il est définitivement le fils caché de Lovecraft et Franquin, tant son goût pour la noirceur et l’horreur le dispute dans son œuvre à la légèreté et à la drôlerie. La méchanceté bienveillante (l’oxymore colle au teint du belge) dont Foerster fait preuve pour ce pauvre Sartre, qu’il affuble d’un langage souffreteux et alambiqué, est jouissive. Mais l’album est comme toujours exigeant, et seuls les lecteurs avertis prendront plaisir à cette débauche d’intelligence martyrisée. Encore une belle réussite.