L'histoire :
On connaît « Mon chien, c'est quelqu'un », sommet de l'absurde, échange de rôles entre homme et animal, illustré ici par Cestac. Moins connu, « Dernière heure » décrit les embarras d'un homme qui a toujours semé sa belle-mère, et qui se trouve obligé de l'accueillir pour une dernière heure... qui n'en finit pas. « La mer démontée » et ses jeux de mots ping-pong ébouriffants parlera à tout le monde, ici par Terreur graphique. Al Coutelis dessine « Racisme », une conversation douanière déportée dans un café, entre barman et client « auvergnat ». Et là aussi, les dialogues, quasiment impossibles maintenant, font mouche. Les dessins naïfs et colorés de Fred Bernard racontent « L'artiste », naufragé volontaire sur une mer imaginaire. Pour « Les enfants », Laeticia Coryn traite l'histoire à la façon d'un livre pour enfants, justement, tout comme Camille Burger avec « Le dompteur Jekyll et le lion Hyde ». A l'inverse, Pourquié ne rend pas les choses simplistes dans « Le tunnel » en l'adaptant à aujourd'hui, et représente brièvement mais magnifiquement Devos. Celui-ci est aussi mis en scène par Peyraud dans « Qui tuer », dans un style naïf et griffé en couleurs directes. « Qu'est-ce qui nous arrive » contient à la fois le texte original et des dialogues imaginés par Pixel vengeur, à sa manière bien connue des lecteurs de Fluide Glacial. Turf, à sa manière délicatement expressionniste, prend l'un des sketches les plus fameux, « Le possédé du Percepteur », où la vie courante, déjà malmenée, bascule dans le Fantastique. Citons aussi Bouzard, Kokor, Lécroart, ainsi que les illustrations seules de Christophe Besse et Claire Bouilhac. En fin d'album, tous les textes sont repris intégralement. Préfacé par François Morel.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L'album collectif est un sous-genre casse-cou : on y trouve de tout, y compris le pire, qui peut contaminer le reste. Ici, la mission se double de la difficulté de traduire, mettre en images les mots, non-sens et « images » justement, de ce prince de l'absurde et de l'autre dimension du quotidien. La surcotée Florence Cestac, en prenant pourtant un sketch très possible à adapter, livre un travail sans inspiration. Les gros nez ne suffisent pas pour être drôle. Avec « Dernière heure », Steven Dupré convainc plus malgré un trait classique. Al Coutelis, qui a prouvé ses immenses qualités, s'en sort bien, avec un traitement simplifié et rapide, bien adapté aux répliques échangées du tac au tac. Jeff Pourquié réussit carrément par son parti pris d'ajouter au texte des éléments nouveaux et par un graphisme composite et frais. Idem pour Pixel vengeur : il invente une BD qui peut fonctionner indépendamment du texte original en haut de chaque case. Enfin, Turf tire son épingle du jeu par un traitement déformé, presque dessin animé, lorgnant vers le fantastique, qui convient bien au « Possédé du Percepteur ». A mi-chemin, l'univers naïf et joliment coloré de Fred Bernard arrive à toucher. Les autres interventions, au niveau de certaines BD mollassonnes du Fluide glacial de la période actuelle ou des très convenues BD de métiers (Pompiers, Infirmières...), sont laissées à l'appréciation des lecteurs. L'art du clown-poète, tellement unique et délicat, aurait mérité, à part Coutelis, d'autres grandes signatures. Mais n'est pas Gotlib ou Goossens qui veut… Reste la belle couverture de Boucq : il a tout compris et vite : la légèreté du virtuose, poids lourd des mots d'esprit.