L'histoire :
Le roi des Indiens reçoit un jour un miroir en cadeau. N’ayant jamais vu son reflet auparavant, le roi est choqué de cette vision. En effet, il se trouve très laid et estime qu’il ne mérite pas de mener la tribu des oiseaux et des gens aussi beaux. Il déteste son corps et notamment ses fesses qu’il juge trop grosses. Un Indien tente de le consoler car, pour lui, ses fesses peuvent lui servir à porter des objets ! Le roi n’est pas vraiment convaincu et désespère de plus en plus. Un autre Indien lui dit que sa beauté n’a pas d’importance et qu’il n’a pas été choisi comme roi pour son physique. Malheureusement, le roi n’est toujours pas rassuré. Il parle à sa femme, une jeune et belle Indienne. Elle confirme qu’il n’est pas très beau, mais elle l’aime et comme tous les autres Indiens, elle trouve qu’il est beau quand il danse et qu’il mérite donc d’être chef. Le roi n’arrive pourtant pas à se défaire de ses incertitudes. Pris d’une transe soudaine, il déclame tout en dansant. Il récite qu’il doit partir et chercher une montagne. Là-bas, il tombera et deviendra blanc et beau. Il promet de revenir dans cinquante ans, pour montrer son nouvel aspect à son peuple. Sa femme est triste car elle sait que lorsqu’il reviendra, elle sera vieille et ils n’auront pas beaucoup profité de leur amour. Avant qu’il ne parte, elle lui fait une tâche d’encre sur le flanc pour qu’elle puisse le reconnaître quand il sera de retour. Toutefois les années passent, interminables, et aucun signe de vie. Cinquante ans après, les Indiens se préparent à recevoir leur chef. Ils s’habillent en tenue d’apparat et se tiennent prêts à danser…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Claire Braud revient sous la houlette de l’Association après l’iconoclaste Mambo. On retrouve quelques points communs entre cette nouvelle œuvre et la précédente. L’héroïne est encore une femme au caractère bien trempé (Alma) et l’histoire se situe dans une île exotique et sauvage. Néanmoins, comme dans Mambo, l’intrigue manque singulièrement de repères ; et dès le départ, Braud réserve une surprise avec ce petit récit d’un chef indien déprimé – un récit qui ne sera plus abordé (ou presque) par la suite. L’auteure se moque de la linéarité et offre encore une fois une histoire étonnante et intrigante. Plusieurs scènes se mêlent de façon étrange : la colère noire d’Alma, les militaires bloqués dans un camion blindé et le désespoir de Gisel qui pleure le départ de sa dulcinée. Le lieu si vivifiant et naturel a d’étranges effets sur les protagonistes. Plusieurs deviennent comme fous, tels les soldats qui finissent par massacrer leur cargaison de buffles ou Alma qui détruit tout de rage. La nature sauvage et envoûtante va aussi débrider les mœurs et de nombreuses histoires d’amour vont se succéder : un soldat va découvrir son homosexualité tandis qu’Alma elle-même va finir par tomber amoureuse de son principal ennemi. Les rebondissements sont étonnants et Braud laisse planer ce flou sur les enchaînements de récits, comme si le devenir de chacun de ses personnages glissait de façon naturelle. Le mélange des genres et des tons est aussi des plus étonnants. Par exemple, on assiste parfois à des scènes de parodie ou de satire qui laissent ensuite place à des actions empruntes d’aventure, puis à des passages pleins de sentiments. Avec finesse et subtilité, le propos est souvent voilé et le lecteur doit faire un effort pour s’immerger dans ce récit atypique. L’exotisme d’une île, la peur de la différence, l’amour et ses aléas… on se croirait presque dans une réécriture décalée et moderne de Vendredi ou la vie sauvage ! Le dessin est à l’image de la narration : le trait est furieux et ultra dynamique, comme s’il n’était plus prisonnier de carcans techniques. Encore une œuvre de Claire Braud au parfum très particulier et qui décloisonne les genres : une expérience !
