L'histoire :
En 1947, Arsène a 27 ans lorsqu’il quitte sa Flandre natale et embarque à bord du bateau le conduisant « des rives glaciales de l’Escaut aux plages étouffantes de la colonie. » En quête d’aventure, il ne quitte pourtant pas sa cabine, de peur des vols, des vers-éléphants contre lesquels l’a mis en garde un étrange passager. Dès son arrivée en terres inconnues, il se rend chez son cousin, Roger Desmet, et tombe instantanément sous le charme de Marieke, sa femme… Desmet l’enthousiaste emmène alors Arsène découvrir le projet monumental qu’il conçoit depuis des années : Freedown town, une ville utopique à l’architecture futuriste. Le jeune flamand clôt cette journée de découvertes par celle de son bungalow, qui va s’avérer être le lieu d’un absurde huis-clos.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dès la couverture, le ton est annoncé : au sein de cases rhombiques, des visages, objets, détails tirés du livre illustrent une succession d’annonces : « Une bande dessinée avec : Arsène / de l’aventure / de l’amour / de l’architecture / de la liberté / de la peur / de la luxure / l’inconnu / rien / un fantasme / de l’espérance / de nouvelles rencontres / des conneries artistiques / un piège ». Le piège étant associé au code-barre du livre… C’est donc armé d’humour qu’il va falloir ouvrir cet album revêtu de motifs rouges et bleus. Biographie-hommage à son grand-père, héros d’une aventure coloniale ? Non, l’auteur flamand prend immédiatement le contre-pied des genres littéraires qu’il semble afficher, et leur préfère une ironie piquante. Arsène, bien loin d’un courageux baroudeur, passe son temps à s’enfermer, à se rendre prisonnier des lieux dans lesquels il se trouve et, a fortiori, de sa vie. Anti-héros parfait, ses rares initiatives se trouvent rapidement oubliées, mises en attente, ou soldées par des échecs cuisants, sur lesquels il glisse avec une naïveté déconcertante. Personnage vain donc, toujours en marge de la réalité, qu’il quitte régulièrement dans le sommeil ou la perte de conscience. La narration, majoritairement prise en charge par le texte, laisse aux images la figuration d’attitudes des protagonistes, de succession de gestes, dans une fixité qui tend à la simple pantomime. Ces personnages, comme les formes graphiques qui les entourent, ne semblent en réalité que faire office de motifs, pris au cœur d’un jeu de métaphores, de répétitions, d’une splendide scénographie de l’absurde. Imprimées en riso – technique volontairement conservée de l’autoédition originale – les planches en bichromie rouge et bleue oscillent entre une apparente faible qualité laissant apparaître des bavures, des décalages, et une magnifique construction graphique. Traversée de nombreux clins d’œil et emprunts à l’Histoire du neuvième art (Töpffer, Chris Ware, Hergé, Killoffer…) la mise en scène et la rigoureuse composition de l’espace se mettent au service d’une poésie du ridicule et de la vacuité humaine. D’une insatiable créativité, les pages guident étroitement notre lecture (jusqu’à la sommer à deux répétitions de se suspendre !), au cœur d’une architecture à la géométrie variant sans cesse entre rêveries, fantasmes et réalité crue. Le dessinateur flamand exploite avec une grande intelligence les possibles de la bande dessinée à la faveur d’un récit OVNI, dont la paradoxale densité et l’incroyable maîtrise mériteraient des commentaires infinis…