L'histoire :
Un ado vit dans une banlieue résidentielle de classe moyenne comme il en existe des centaines. Des squares, des canaux endormis, du standard, du stéréotypé, du béton à perte de vue et l'impression d'avoir à vivre une existence déjà toute tracée. Notre ado s'y ennuie, d'autant que son univers semble irrémédiablement fermé. Les vacances d'été ont débuté depuis trois jours. Dans sa chambre, un petit ver travaille à son ouvrage : il grignote de l'intérieur la porte de sa chambre. Le ver creuse pour tenter d'échapper à sa routine et prendre son envol en opérant sa mue. Il s'agit d'un capricorne. Après l'évocation d'une enfance qui s'achève, l'ado s'invente des mondes fantaisistes et met ses sens aux aguets pour échapper à l'immobilisme et aux paysages minéraux qui balisent un monde cloisonné. L'envie de grandir et l'image d'un monde qui disparaît peu à peu pour revivre sous une forme altérée, via le regard d'un ado en train de muer.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Grégoire Carlé aborde ici un sujet classique : la transition de l'adolescence à l'âge adulte. Pour éviter l'ennui au lecteur et les images attendues, l'auteur a pris l'option du récit onirique et fantaisiste, histoire de poétiser une chronique sociale qui dresse un portrait bien sombre de nos banlieues. Des fumées de barbecue, des rodéos à motos, des jeux de grands et des « beaufs » qui ont pour seule ambition de squatter les centres commerciaux, le samedi après-midi. Pour cadre, du béton standardisée, des canaux abandonnés à l'eau verdâtre, l'odeur du gazon fraîchement tondu. Et notre ado, dont la vie est en train de muer, s'interroge et erre avant de franchir la limite définitivement (« Peut-être que le signal de la mue a lieu lorsque l'on se rend compte des faiblesses de ses parents. On quitte alors les eaux tièdes de son ruisseau pour tourner autour du lampadaire »). C'est donc l'histoire d'une métamorphose intérieure et sensible, narrée sur un mode fantaisiste, faite d'images allégoriques, mythologiques et symboliques (pluie d'anguille, poisson lampadaire, batraciens musiciens...), comme pour magnifier la routine et rendre mystérieux l'ordinaire, venant à l'appui d'un texte inégal. Littéraire, juste et élégant parfois, ampoulé et répétitif à d'autres endroits, avec l'impression de ressasser sans réellement développer le propos. Le graphisme expressif étant lui aussi irrégulier. Quant au choix du capricorne, il est ici tout sauf neutre, la bête symbolisant la fin d'un cycle mais aussi le début d'un nouveau, représentée par un animal fabuleux mi-bouc mi-dauphin. Pour tenter de sortir de cet univers froid, silencieux et immobile qu'est la banlieue, le seul recours est alors celui de l'imaginaire fécond. S'effacer pour renaître ou l'histoire d'une transformation en forme de vagabondage magique. Bref, aucun doute sur la qualité et l'originalité du traitement. Mais un ensemble un peu terne et ennuyeux qui, finalement, ne convainc qu'à moitié.