L'histoire :
1942 : naissance d’Edmond Baudoin. Dès les premières pages, mêlant textes et dessins, l’auteur parle de sa mère, de sa propre naissance : « C’est quand la vraie naissance, s’interroge il ? J’écris sur quelqu’un qui va mourir inabouti ». Le fil se rembobine, depuis les premières publications dans lesquelles l’auteur se représentait enfant, adulte et vieux. Et il reprend des cases de ses albums, de ses carnets d’expériences, y ajoutant de nouvelles lignes, égrenant les rencontres faites, mais aussi les relations avec les membres de sa famille, dont Piero, un de ses deux frères, qui lui a donné le goût du dessin ; mais aussi sa sœur et bien sûr ses parents, tous deux morts bien évidemment depuis. Car Edmond a désormais quatre-vingt ans et il s’interroge, accompagné dans ses déambulations introspectives par Aile, les « elles » de ses nombreuses relations féminines au fil du temps.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Nous vivons la fin d'une époque. D'un côté Métal Hurlant reparaît, ou plutôt se cherche une troisième vie. De l'autre, Edmond Baudoin est toujours là, lui qui a quasiment inventé la bande dessinée autobiographique et en tout cas celle des années 80, entendez la narration graphique adulte. A l’époque, la poésie habituellement écrite dans des collections de grandes maisons d'édition s'offrait soudain une déambulation au travers de ruisseaux d'encre noire, aux éditions Futuropolis. Car s'il est admis que la bande dessinée adulte a débuté à la fin des années 60, les premières planches de Baudoin ont influencé à leur mesure, sinon marqué à vie, des millions de lecteurs. Oui, il était possible d'exprimer de la poésie pure, des vagabondages de pensées en dessins, à l'aide d'un seul pinceau et sans héros particulier. Ça, Baudoin nous l'a enseigné, et l'a d'ailleurs cherché lui-même toute sa vie. Cette vie, elle est sans cesse rappelée, au fil de sa bibliographie pléthorique, débutant en sus d’apparitions dans des revues (dont le Canard sauvage en 1974), dans les albums Civilisation (Glénat) et Les Sentiers cimentés (Futuropolis) en 1981.
Dans ces Fleurs de cimetière, décrivant, d'après sa mère Jeanne, les tâches brunes que l'on trouve en vieillissant sur ses mains (et ailleurs), l'auteur déroule les souvenirs, précieusement conservés au sein de ses carnets dessinés. Et ceux-ci donnent le rythme d'un « récit » autobiographique, d'une introspection générale et sans fard, comme un bilan de 80 années passées sur Terre à essayer d'exprimer l'amour, de ses parents, de son frère Piero, de ses nombreuses relations féminines, de ses cinq enfants. Car il est beaucoup question de filiation dans ce « cimetière » de vivants, (ce jardin plutôt, où poussent des fleurs) et certains dessins, à l'encre baveuse, ressemblent à des Daguerréotypes, tels des fantômes (P.64). Et toujours des arbres, en pleine page, au lavis, pour scander ces souvenirs, allant et venant, en avant en arrière, selon l'humeur, mais aussi des citations de grands hommes et femmes poètes, écrivains, réalisateurs, artistes, pour étoffer le propos. « L'art n'est pas une vocation, mais une malédiction. Quand cette malédiction commence-t-elle ? (...) A la période de la vie où...vous commencez à vous sentir à part, en incompréhensible opposition avec les autres êtres ». (Thomas Mann). Ou encore : « La grande peur est de venir à bout du monde. Je dépends entièrement de ce que je ne connais pas encore » (Rauschenberg). Beaucoup d'interrogations, quelques constats à peine amers, mais une poésie toujours aussi viscérale, faisant ouvrir grand les yeux et l'esprit, et le sexe, toujours, mais sans arrière-pensée autre que le plaisir et le partage, toujours. Baudoin a 80 ans et souhaiterait finir sa vie en suivant une femme près d'une rivière. Il a en tout cas l'âge d'un homme encore amoureux et cela se sent, se voit dans cet album où il met tout. On l'accompagne, comme depuis ses débuts, et on scande son prénom en jetant un caillou à l'eau : « Momon ! »