L'histoire :
Les bois : lieux de mythes, de contes et de frayeurs… A l’origine toute biblique était le Jardin d’Eden : Adam et Eve jouissent de leur amour, nus et sereins. La tête d’un enfant au visage de porcelaine, paisiblement endormi dans les fourrés, sert d’abri aménagé au couple originel. Mais le ciel se couvre, les pommes, pourvues d’une bouche dentée, se font gangréner par des serpents, le Mal et son Horreur envahissent subrepticement le Jardin, et la Connaissance de la souffrance et de la honte s’empare des Hommes ; Adam et Eve s’enfuient, culs nus.
Dans une forêt bien plus païenne, Sébastien (Lumineau) et Patrice (Killoffer) s’en vont, l’un aux champignons, l’autre à la chasse au gibier. Tous deux pareillement branques enchainent les maladresses et se laissent peu à peu prendre par la nuit…
De bois en bois, nous promenons, avec ou sans le personnage Killoffer, à la rencontre des créatures vivant au cœur de ces contrées fantasmagoriques.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Promenons-nous, donc, dans ce huitième numéro de Mon Lapin. Auteur de l’étrange, de l’onirique, du sombre, Killoffer mêle son trait et son imaginaire farfelu à de grands noms du 9ème art qui explorent depuis toujours les mêmes contrées. Burns, Lumineau, Ruppert et Mulot, Marchalot, pour n’en citer que certains, développent en quelques pages une variation scénographique, narrative et poétique de ces espaces du mystère, du danger, du fantastique, que sont les bois et les forêts. Au gré de ses collaborations, Killoffer déploie l’éventail de son art. Références, autoréférences, dialogues graphiques et narratifs, les vocabulaires se mêlent et se répondent au royaume du grand art. A l’orée des masses feuillues, il développe avec Charles Burns une courte scène des 676 apparitions : l’auteur y reprenait l’image de Topor représentant une main dont les doigts se terminent par des personnages auquel il substituait son propre visage, et qui se métamorphosaient peu à peu en pommes accrochées à un arbre. Une Eve en cueillait une et la croquait, laissant apparaître un ver à tête de Killoffer. Dans Mon Lapin, cette scène prend de l’ampleur et elle est l’occasion d’une réécriture de la Genèse dans l’univers de froide noirceur Burnsienne qui favorise, en outre, l’inclusion des illustrations surréalistes de l’auteur de Charbons. Ces formes graphiques trouvent plus loin sur notre chemin de lecture tout aussi naturellement leur place dans une création commune avec Ludovic Debeurme, également héritier de Topor. Profitons d’une ballade dominicale boisée avec Killoffer et Sébastien Lumineau, qui se laisse parfaitement inviter au jeu de l’autodémultiplication. Le quatuor formé avec Ruppert et Mulot reprend ainsi le principe des 676 apparitions pour questionner cette fois la grammaire du temps, dans une magnifique séquence burlesque. Pénétrons plus loin la densité arborée et animale : le bidochonneux Killoffer joue d’abord le paradoxe humoristique, en peignoir et clope au bec, dans l’univers élégant des figures fantastiques de Druillet. Enfonçons-nous encore : Killoffer en Douanier Rousseau du noir et blanc ressort ses motifs feuillus qui aménagent ici un sublime décor aux tout aussi sublimes créatures en théâtre d’ombre de Mattotti. Et ici taisons-nous, car si certains segments du sentier n’ont pas eu toute notre faveur, en reste une sacrée marche dans les profondeurs, qu’il vous appartient de parcourir.