L'histoire :
Frans Masereel est né à Blankenberghe, station balnéaire de la côte de Flandre belge, le 30 juillet 1889. En 1894, la famille quitte la côte pour Gand, tandis que son père décède neuf mois plus tard. Le jeune Masereel grandissant au milieu d’une cité à l’industrie textile alors en plein essor, côtoie la dure condition ouvrière qui marquera sa vie. Sa culture, d’abord révolutionnaire puis antimilitariste, sera entre autre forgée par les lectures d’ouvrages russes, telles celles de Kropotkine, traduits pas sa tante Fanny. D’autres lectures libertaires et françaises vont aussi l’alimenter. Et durant trois ans, de 1906 à 1909, au contact de camarades issus de la classe populaire, il va se former à l’art du dessin et de la mise en page typographique. En 1907, il prend des cours du soir à l’École des Beaux Arts de Gand. C’est cependant au contact d’un de ses amis artistes de l’estaminet T Goude Zulleken (« le Petit seuil d’or »), Jules de Bruycker, qu’il va trouver sa voie dans l’art de la gravure. Après une première visite à Paris quelques jours en 1909, il estime ses chances plus grandes d’y réussir là-bas. Aussi s’y installe-t-il. C’est là qu’il va prendre contact avec le journal satirique l’Assiette au beurre, afin d’y publier ses premiers dessins. Le journal vit cependant ses derniers jours et la messe est dite en 1912. Henri Guilbeaux, son rédacteur en chef, lui aussi belge, appréciant le travail de Masereel, va lui faire profiter de son carnet d’adresse et devenir un ami. C’est ainsi qu’il va ensuite publier dans le Rire, Les Hommes du jour... tandis que la guerre éclate. Antimilitariste, ce qui n’est pas très bien vu en ce début de conflit, et de toute façon pas très à l'aise dans ce milieu satirique, Masereel va émigrer en Suisse et trouver auprès de romanciers et poètes d'un autre niveau (Romain Rolland, Émile Verhaeren, Jean Jouve, Marcel Martinet, Henri Guilbeaux, Stefan Sweig), dès son arrivée en « terrain neutre », le terreau pour sa grande œuvre à venir. En effet, après quelques dizaine d’ouvrages remarqués illustrant ses amis et connaissances, il se lance en 1918, grâce à l’éditeur Kurt Wolff, dans la création de romans constitués uniquement de gravures. Le succès est immédiat.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Alors qu'aujourd'hui, et depuis 2018, il nous est permis de (re) découvrir l’œuvre de cet artiste grâce à la collection Un roman sans paroles, une série de six livres de Frans Masereel, publiée par Les Éditions Martin de Halleux, ce nouvel ouvrage permet de fréquenter l'essentiel des auteurs, illustrateurs du début du siècle dernier, et de s'immerger dans les revues de l'époque, des feuilles de choux d'abord satiriques d'avant-guerre qui ont forgé une culture anti boche, puis celles de la guerre, côté suisse, des pacifistes et donc condamnables et condamnées. C'est à dire conceptualiser une époque maintenant lointaine, mais dont cet éclairage illustré et pointu sera savoureux pour qui s'intéresse à la fois à l'Histoire, et celle de la presse, de l'illustration et de la littérature engagée. Mais plus encore que ces débuts, annonçant puis répondant d'une manière assez critiquable aux conflits et ses protagonistes de tout bord, c'est surtout la notion de pacifisme développée entre autre dans le chapitre « Gravure à la Une » qui va inonder le propos et sous-tendre la vie de cet homme. Découpé en autant de chapitres que de collaborations ou de voyage initiatique (5 pour la partie genevoise, puis onze pour ses romans, tous détaillés, et comprenant les critiques d’époque), cet ouvrage précis nous donne à explorer avec talent et érudition l’œuvre de l'artiste, tout autant que la renaissance du livre xylographique en cette fin XIXème. L'occasion de citer l'essentiel des artistes et éditeurs et conter l'histoire intime de cet art venu de Chine. Illustré abondamment de reproductions de couvertures de revues rares, de romans originaux, ce bouquin format roman, à la maquette parfaite et au beau papier, est aussi accompagné d'inédits, dédoublant sa saveur. Ne reste plus qu'au lecteur découvrant Frans Masereel à se ruer sur les fameux romans, toujours disponibles chez Martin de Haleux (mais pour combien de temps encore ?). Le peuple du livre est quant à elle une collection chez l’Échappée dont on a déjà eu l’occasion de défendre le superbe Incorrigible. Ainsi, ce nouveau titre s’avère indispensable à tout bibliophile qui se respecte.