L'histoire :
Tout début XXème siècle, dans une petite commune de province. Un jeune de basse classe sociale, sûrement orphelin de père, tout juste entré dans l'âge adulte, perd sa mère. Celle-ci lui laisse comme seul héritage son médaillon à fleur. Lui part, baluchon sur l'épaule, dans d'autres villes, afin de trouver un emploi. Rien ne se présente néanmoins. Désemparé, il se retrouve réduit à voler dans une sacristie. Réitérant son geste auprès d'une vendeuse de fruits, il est appréhendé par les gendarmes, puis jugé et condamné aux travaux forcés. Il rejoindra le convoi de centaines d'autres déportés, vers la Guyane, où il mourra, dans le plus complet dénuement et anonymat.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Roland Cros accompagnait sa compagne, historienne de formation, dans la salle des archives nationales d'outre-mer à Aix en Provence, afin de retrouver trace d'un ancêtre mécanicien ayant mystérieusement disparu durant la commune. En feuilletant les registres, quelle ne fut pas sa surprise, au-delà de l'angoisse de la lecture de tous ces destins brisés, de trouver un homonyme de son père : Louis Cros, ayant habité le même canton plus d'un siècle plus tôt et ayant été condamné au bagne au milieu du XIXème siècle. Louis Cros, né le 7 octobre 1832, avait été condamné par les cours d'assises de l'Aude le 23 février 1857 pour vol avec effraction, que son état de récidiviste « s'adonnant à l'oisiveté et au vagabondage » envoya automatiquement au bagne colonial, où il mourut le 6 novembre 1867. Touché par ce destin similaire à des milliers d'autres à l'époque, Roland Cros, enseignant, photographe et documentariste (auteur de Pogo, regards sur la scène punk française 1986-1991, l'Echapée), mais aussi artiste de Land Art et graveur, a ajusté l'histoire en la modernisant de quelques années, au moment où le bagne tournait à plein régime. En partant de pas grand-chose, il fournit une description concise et objective de ce passé révolu, assez injuste et très cruel. Utilisant la technique ancienne de la gravure sur bois, il délivre 90 compositions magistrales en pleine page dans la grande tradition des conteurs en images des années trente, tels Frans Masereel, Lynd Ward ou Otto Nückel. Agrémenté de son avant-propos et de la postface de Jean-Marc Delpech, historien et enseignant, le livre nous offre une œuvre remarquable, pleine de dureté et d'émotions, que la présentation sous couverture souple carton kraft met en valeur. Celle-ci lui donne une identité sobre et cheap, presque anonyme, et donc bien dans le ton, si ce n'était le beau dessin de couverture. « Incorrigible », certes, mais plus du tout anonyme !