L'histoire :
Ma mère est ainsi faite : elle déménage d'un endroit, dès qu'elle y sent que les intrigues vont l’entraîner dans un tourbillon. Elle me confiait, après en avoir vu de toutes les couleurs : « les nations prient Dieu de bien des façons, mais elles le bafouent de la même manière ». Il nous arrivait de déménager deux, trois fois par an. Quand on est arrivé dans la Comorofca, le quartier le plus malfamé de la banlieue, je n'ai pas été surpris. J'avais déjà connu les « oulitza », les quartiers les plus caractéristiques de Braïla : le russe, le grec, le juif, le tzigane... Je me souviens qu'elle m'avait dit pouvoir économiser deux Lei roumains par mois. Et au bout d'un an, ça fait le prix d'un vêtement pour moi. Je me souviens aussi qu'elle m'a demandé d'être sage, parce que les gens de ce quartier sont féroces et elle m'a recommandé de ne pas me mêler à eux. Des fois, je faisais des cauchemars, parce que la voisine était venue dire à maman que des garçons de 13 ans fumaient, volaient dans le port, se saoulaient et défloraient des gamines en jouant du couteau. Le dimanche suivant, je sortais pour aller en reconnaissance. C'était comme si je découvrais un nouveau monde, jusqu'à ce que j'arrive dans un coin magnifique, avec ses herbes hautes, sa voie ferrée...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il y a quelque chose des Misérables dans ce récit. Quelque chose de l'ordre de Zola également. Et si ces qualités littéraires sont évoquées, c'est bien parce que Codine est un roman, qu'on doit à l'écrivain roumain Panait Istrati. On ne vous cachera pas qu'on ne l'a pas lu avant d'avoir cette adaptation en main, mais que ce bouquin donne envie « d'aller à la source » ! En soi, c'est déjà un gage de réussite car il ne faut jamais sous estimer la difficulté de l'exercice, qui a engendré bien des catastrophes venant immédiatement (et malheureusement) à l'esprit de chacun d'entre-nous. Il nous est véritablement difficile de retranscrire ici toute la puissance, la beauté et la sincérité de cette BD. Codine, c'est le prénom d'un homme à la force herculéenne, qui survit grâce à elle parmi les plus miséreux, dans cette Roumanie du début du XXème siècle. Une force gage du travail qu'il peut abattre, mais qui est également sa malédiction, tant il est détesté des autres hommes, parce qu'il leur est sur ce point supérieur. Cette BD traite de la magnifique histoire d'amitié qu'il lie avec Adrien, un petit bonhomme orphelin ou abandonné par son père. Un garçon d'une grande gentillesse, que sa mère, modèle de courage, éduque dans l'honneur et la dignité. Un enfant à la grande sensibilité qui n'est autre que le reflet de l'auteur, dont on en apprend plus grâce au cahier qui succède à cette adaptation. Panait Istrati, enfant, a en effet connu un forçat qui l'avait pris son aile. Il lui rend un vibrant hommage et sa grandeur d'âme se retrouve également ici. Simon Géliot livre des illustrations qui véhiculent toutes les émotions : de la tendresse à la violence, de la colère à la joie, des horreurs que les hommes s'infligent les uns aux autres à l'amitié désintéressée. On referme l'album en étant bouleversé. Codine, c'est la splendeur et aussi la noirceur de l'âme humaine.