L'histoire :
Vittorio Veneto, 1763. Lorenzo da Ponte court à toutes jambes dans cette ville de l'état de la République de Venise. Il a quatorze ans, ce jour là. Il est poursuivi par deux garçons de son âge. A cette époque, il s'appelle encore Emanuele Conegliano, enfant d'une famille juive italienne, dont le nom correspond à la ville dont ils étaient originaires. Ses poursuivants le rattrapent et l'insultent : « sale voleur, on te tient le juif ! Petit spirituel ignorant et qui se croit tout permis, rends-nous le livre ». Le gosse se défend d'être un voleur : « Ce livre traînait dans un grenier poussiéreux, personne n'en voulait ! Et de toutes façons, vous ne saurez même pas quoi en faire ». C'est alors que s’interpose un gentilhomme avec sa gente dame au bras : « Cela suffit, laissez en paix ! ». Les deux poursuivants protestent pour la forme, mais déguerpissent face au regard insistant de l'adulte. Et si sa dame s'étonne, après tout, est-on censé encourager le vol de livre ?... Le bourgeois prononce ces paroles qui illustreront la vie de Lorenzo : « il faut lire pour s'instruire et puis voyager pour rectifier ce que l'on a appris »...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Clément Baloup et Eddy Vacaro sont deux auteurs complices, puisqu'impliqués ensemble dans un collectif d'auteurs joyeusement appelé le Zarmatelier. Avec cet album, ils proposent de retracer l'essentiel de la vie, particulièrement riche en péripétie, de Lorenzo Da ponte. Cet homme qui se forgea un destin fascinant, né juif et officiant un temps comme prêtre de l'église catholique, en fut renvoyé pour ses idées progressistes et en particulier son goût pour les travaux de Rousseau. Puis il partit à Venise, où il vécu une vie dissolue, se liant d'amitié puis se brouillant avec Casanova. Ses frasques lui valurent d'y être poursuivi par l'Inquisition. Il partit alors à Vienne et obtint la protection du Roi Joseph II. C'est là qu'il travailla comme librettiste des compositeurs de la Cour, dont Salieri. Mais on retiendra surtout de lui sa rencontre avec Mozart et le travail qu'il fit avec lui, en composant en deux mois Les Noces de Figaro et Don Giovani puis enfin Cosi fan tutte. Puis à la mort de l’Empereur, ce fut un nouvel exil, vers Londres, avant enfin d'atteindre New-York, où il connut une sorte de mécène, Clément Clarke Moore (l'inventeur du Père Noël), qui finança sous son impulsion la construction du premier opéra de la ville, le fameux Metropolitan Opéra. 90 années bien pleines et jalonnées d'extraordinaires réussites et de persécutions, que les auteurs retranscrivent grâce à de nombreux flashback situés dans les villes où il vécut. Clément Baloup, avec ses aquarelles, retranscrit ainsi tantôt la douceur de vivre que les tourments, notamment amoureux, de cet homme au destin hors du commun et à qui l'album rend un remarquable hommage. Une lecture distrayante et à la fois instructive.