L'histoire :
Baie d'Anakena, île de Pâques, décembre 1862. Cela fait 140 ans que les hollandais ont découvert l'archipel. Depuis, les marines des plus puissantes nations accostent l'île et c'est le même scénario qui se répète : des hommes d'armes débarquent et capturent par centaines les habitants, soit pour abuser des femmes, soit pour réduire les hommes à l'esclavage. La moindre résistance signifie la mort, qui se charge également de prendre sa part dans les cales surpeuplées. La population, de 3000 à 4000 personnes, se réduit désormais à moins de 200 individus ! En une seulle «expédition», les Péruviens ont dépeuplé l'ile de quasiment la moitié de ses habitants ! Alors qu'ils considèrent cette terre comme un atout pour fournir la main d’œuvre nécessaire à l'extraction de leurs mines de guano, les Français y voient une occasion de développer les missions d'évangélisation. Et d'y apporter les « lumières » des sociétés modernes. D'autres, même s'ils sont rares, sont fascinés par l'histoire et la culture Moaï...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Louis X avait beau avoir pris un édit en 1315, affirmant que « selon droit de la nature, chacun doit naître franc », c'est à dire libre, ce n'est que le 27 avril 1848 qu'un décret rédigé par Victor Schœlcher abolit en France l'esclavage. Encore faut-il garder à l'esprit que son application ne fut ni immédiate, ni encore moins opposable à tous les territoires de notre pays... Cet album s'inscrit en quelque sorte dans la célébration de cette date, mais il n'est en aucun cas un « coup de comm' ». Son titre en plante le décor. Le 1er chapitre (après un prologue qui campe l'horreur de la traite des hommes) annonce un récit sans concession ni misérabilisme : certes les Français ont de plus nobles intentions que les Péruviens, mais l'homme de foi qui décide d'évangéliser ce qu'il reste des habitants de l'île s'avère bien souvent maladroit et il sera chassé au péril de sa vie. Il reviendra néanmoins, hélas accompagné par un hiérarchique bien plus brutal... Puis, bien vite, ce sont les marchands qui comprennent que l'île, à 12 jours de navigation de Papeete, peut fournir des richesses qu'il ne sera plus besoin d'aller négocier avec la Nouvelle-Zélande. Et certes, l'esclavage n'est plus de mise, mais il a été remplacé par l'exploitation, qu'on légalise en faisant signer des contrats que les locaux ne comprennent pas. Au fur et à mesure que les pages défilent, on a le sentiment d'être un témoin privilégié, (mais ô combien impuissant, et pour cause !) face à la cupidité et l'absence de morale des hommes d'affaires et autres autorités. On imagine la somme de travail qu'a du abattre Didier Quella-Guillot pour se documenter : cartes et navires, coutumes des moïa et us européennes, vêtements et constructions... la documentation des auteurs a du être monumentale. Manu Cassier doit aussi en savoir quelque chose, lui qui a dessiné et colorisé ces planches, d'une grande visibilité, à l'esthétique sobre et réussie. Enfin, pour prolonger le plaisir, on trouvera à la fin de l'album un cahier de 8 pages qui rend hommage à Pierre Loti. On tient là une BD remarquable, qui a le grand mérite d'être « intelligente » car instructive, sans jamais être intello, car elle est à la portée de tous. Si vous aimez les récits historiques, ne passez pas à côté !
