L'histoire :
Sur un plateau télé, une interview tourne au procès à charge. L'invité de l'émission est un architecte et il comprend au bout de quelques questions qu'il est en train de se faire piéger. Lui, c'est Franck Olmet, un architecte qui a conçu plusieurs bâtiments qui ont fait sa réputation internationale. C'est en quelque sorte un top mondial dans son domaine. Un quadra en pleine réussite. Mais la dernière construction qu'il a dessinée s'est effondrée. Un chantier pharaonique situé au Moyen-Orient. L'accident a provoqué plusieurs morts et il a beau expliquer que les matériaux choisis n'étaient pas conformes à ses recommandations, il a beau dire que le maître d'ouvrage est responsable de la sécurité des travaux, que les conditions de travail indignes des ouvriers lui échappent dans ce pays, il prend très vite conscience qu'il se retrouve dans une position symbolique de lampiste. C'est aussi injuste qu’inacceptable, alors il quitte le plateau au bout de quelques minutes. Mais il n'a pas le temps de souffler que, déjà, il doit partir au Japon. Son agence a été sélectionnée pour un concours et il est d'emblée très bien placé pour remporter le marché. C'est abattu et à contre-cœur qu'il prend l'avion pour Osaka...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le succès et l'échec. Le travail et le chaos qui résulte d'un accident. La perte de repères jusqu'à celle de son identité. Le voyage qui finit par être une errance. Qu'est-ce qui fait qu'on peut perdre l'équilibre, alors même qu'on jouit d'une belle situation, de la reconnaissance de ses pairs, de l'argent qui va avec les responsabilités et les réussites professionnelles ? L'altérite et le regard qui est porté sur notre personne, finissant par la définir... voire nous enfermer. Ce sont toutes ces questions et ces thèmes – et bien d'autres encore – que cet album singulier soulève au travers du parcours d'un architecte en plein doute. Stéphane Presle a peut-être puisé dans sa propre connaissance des voyages pour écrire cette histoire, puisqu'il est fils de militaire, qu'il a suivi son père jusqu'en Nouvelle-Calédonie, jusqu'à revenir en métropole, du côté de Toulon. Le personnage de son récit n'a rien d'un soldat, c'est un architecte, dont la vie bascule quand un bâtiment de sa conception s'effondre, au Moyen-Orient (au passage, on ne peut qu'y voir une dénonciation de la construction de stades au Qatar, sur des chantiers meurtriers destinés à divertir le monde entier, lorsque se jouera de la prochaine coupe du monde de football). Le procès d'intention qu'on fait à cet homme a l'effet d'une bombe sur sa psychologie. Et le séjour qu'il va effectuer au Japon, pour un business auquel il n'aspire plus, permet d'en faire un portait étrange et complexe. Parfois flippant, parfois attachant, ce Franck oscille entre pathétique et authentique, la clé de son salut provenant dans ce qu'une femme d'une autre culture finit pas lui renvoyer, sans complaisance. Sans faux-semblant. Thibault Chimier illustre le propos avec un style très sobre, une sorte de ligne claire passée à la moulinette digitale, aux formes anguleuses et aux couleurs contrastées. L'esthétique n'est pas pour autant froide, car il joue aussi admirablement bien sur la lumière. Ce qu'on a trouvé particulièrement réussi, c'est que ce visuel, où tout semble rectiligne et droit, est précisément opposé à l'aspect « tordu » du personnage. Un chic type tordu par la vie. Voici donc un récit doux-amer et profond, qui porte en lui ce que la vie compte de difficile, mais aussi d'espoir. Une BD dont la richesse peut difficilement être résumée. Offrez-vous un voyage au cœur de l'humanité.