L'histoire :
« Je me suis tournée et retournée en moi-même, je me suis écoutée et regardée. Et j'en ai eu assez de moi. Si j'avais été un homme, peut être aurais-je, dans cet état, créé une œuvre. Mais, telle que je suis – et je ne voudrais être rien d'autre – je n'ai fait que divaguer. » Unica Zürn - Vacances à Maison Blanche (éd. Joëlle Losfeld).
Unica se rappelle les émois de l'aube, faits de beauté et de souillures, où il fut clair qu'ensuite, rien ne serait comme avant. Comment pourrait-il en être autrement, quand votre frère vous viole alors que vous avez 9 ans ? Alors, la précoce conscience de la mort, des pulsions érotiques de l'enfance et avoir manqué à sa parole tant de fois, malgré l'indulgence de ses amis, hantent ses rêveries quotidiennes. Issue d'une famille extrêmement conservatrice, son beau-père ayant été haut dignitaire du régime nazi, elle commence à écrire des nouvelles pour la radio et fréquenter les milieux artistiques. Elle divorce. La garde de ses deux enfants étant confiée au père, elle quitte l'Allemagne pour rejoindre en 1953 Hans Bellmer, artiste surréaliste parmi les plus doués de sa génération, qui vit à Paris. 1957 est une année charnière : elle rencontre Henri Michaux, un poète, mais elle fait une dépression nerveuse et les symptômes de la schizophrénie se manifestent. Un soir, alors qu'elle est en errance et loue une chambre d’hôtel, elle provoque l'incendie du bâtiment...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Céline Wagner a suivi une formation de design, mais ce qu'on retient de ses BD, ce sont les thèmes, jamais faciles, qu'elle aborde et la sensibilité, parfois abrupte, qu'elle y met, comme dans Tangente. « Rentrée » dans le monde de l'art séquentiel aux côtés d'Edmond Baudoin dont elle fut la stagiaire, il en a résulté Les yeux dans le mur, un album troublant, qui traite de l'amour impossible né entre un peintre et son modèle. Depuis, elle fait son bonhomme de chemin en auteure complète. Elle nous revient donc avec ce portrait d'une artiste schizophrène, Unica Zürn et traduit incroyablement bien le drame qui fut le sceau de sa vie. Il est difficile de retranscrire l'intensité et la complexité des émotions que véhicule ce bouquin, parce qu'il se situe toujours du bon côté : on est touché mais jamais envahi par un côté pathos, alors que la maladie est omniprésente et très invalidante. Unica, à travers la poésie du graphisme de Cécile Wagner, décroche de la réalité, ce réel qui la rattrape sans cesse et la trahit. Cette femme devait être une source de souffrance sans fin pour ceux qui l'aimaient, à l'instar de Hans Bellmer, dont elle resta longtemps dans l'ombre, alors qu'il fit tout son possible pour qu'elle soit reconnue comme une artiste unique. C'est un véritable tour de force, livré en douceur, qu'a réussi Céline Wagner : retranscrire un peu des anagrammes qu'Unica composait en prenant des phrases au hasard, traduire la plastique de ses dessins si particuliers et enfin rendre un hommage poignant à la femme qu'elle fut. La douceur de ses compositions n'atténue pourtant en rien la violence internalisée par Unica. Non, ici le dessin est le médium d'un voyage au cœur de la folie et de la création, quand l'Amour et la souffrance finissent par se confondre avec l’impossibilité de vivre. La maladie mentale est souvent le seul échappatoire que les sujets ont trouvé pour survivre, aussi étrange que cela paraisse, jusqu'au jour où elle emporte tout de leur humanité. C'est aussi cela qu'on comprend (ou retrouve) dans cet album. Voilà, nous avons fait le tour de notre pauvre vocabulaire, il ne reste plus qu'à vous dire que si la vie des artistes vous intéresse, si l'histoire de l'art, celle qui ne se dit pas comme une évidence, vous est chère, ce livre est alors fait pour vous !