L'histoire :
C'est la Deuxième Guerre mondiale. Les Allemands viennent d'attaquer la Belgique neutre. Pour échapper aux camps de travail pendant l'Occupation, Yvon se cache dans la forêt et tente de résister. Il y passe quatre longues années, endurant le froid, la faim et les maladies, se livrant à la chasse pour survivre. A plusieurs reprises, il est proche de sombrer dans la folie, lui qui est hanté par des visions hallucinatoires et rejeté par son paternel. Peu aimé par un père froid et absent, il décide, lorsque la guerre est terminée, de changer d'air, histoire de prendre un nouveau départ et d'échapper enfin à ses démons. Direction le Congo Belge et ses grandes étendues peuplées d'animaux sauvages... Là-bas, il commence tambour battant sa vie d'adulte, gagne en assurance et découvre un pays dont il tombe amoureux, au point d'en faire son petit paradis. Seulement voilà, à l'heure où les leaders nationalistes sont en lutte pour l'indépendance, l'équilibre qu'il a su construire par delà la Méditerranée va voler en éclat...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le jeune auteur bruxellois Nicolas Pitz avait déjà commis un premier tome intitulé Luluabourg chez feu l'éditeur Manolosanctis. Sans doute avait-il l'envie naturelle de poursuivre son récit, prévu en trois tomes à l'origine. C'est chose faite dans ce roman graphique édité par la Boîte à Bulles. Si le début reprend de façon synthétique Luluabourg, la BD fait ensuite vite voyager son lecteur entre l'austère forêt wallonne près de Chimay, théâtre de la résistance à l'occupant, et le Congo période coloniale, lorsque le pays était sous administration belge. Pour être franc, la naïveté et la platitude des dialogues (au début) commence par faire peur. Puis, peu à peu, le récit prend son envol, précise les enjeux, les relations, le décor : un violent contexte de guerre, les privations, un père rude qu'il faut fuir... Yvon, jeune écorché vif, doit partir pour s'affirmer, s'épanouir, trouver son identité. Direction le Congo Belge, terre de tous les espoirs et de toutes les désillusions. Jouant l'interaction entre les décors et les sentiments, l'auteur transmet avec une certaine habileté les composantes émotionnelles de son héros, esseulé et hanté par des visions hallucinatoires ou oniriques (il voit par exemple des têtes d'animaux sur des corps d'humains). Pitz exprime les peurs latentes de son personnage, sa terreur, son désir de vivre, via des parallèles entre l'austère forêt wallonne de son enfance, terreau de cauchemars tenaces, et la forêt tropicale idéalisée du Congo, refuge apaisant, lieu de tous les possibles et surtout d'un équilibre rassurant. La nature la plus hostile n'est pas forcément celle que l'on croit... Pitz aborde aussi la question de l'identité, du déracinement. Et confronte ce destin individuel à l'Histoire coloniale du Congo, dont l'indépendance a été arrachée après une longue résistance des autorités belges, à l'issue d'une guerre civile de trois ans entre colons et autochtones. Rien de très surprenant dans sa manière d'aborder la question, mais fait sans manichéisme. Pitz n'est d'ailleurs pas tendre avec la figure de son grand-père (l'histoire est autobiographique), présenté comme un colon au paternalisme condescendant, bienveillant certes, mais naïf et inféodé à l'esprit de son temps. La colorisation, qui utilise principalement des teintes kaki, marron et rouge au début, puis des teintes éclatantes ensuite, exprime finement ambiances et humeurs d'une vie. Le final, assez touchant, est souligné par les photos en noir et blanc, mémoire familiale d'un passé en pointillé. Récit initiatique, histoire d'une quête identitaire croisant destins familiaux et grande Histoire, Les jardins du Congo s'avère une lecture digne d'intérêt.