L'histoire :
Après le 11/09, les États-Unis organisent une riposte. Le Sahel, les Philippines, la Corne d'Afrique, la région de la Tchétchénie et l'Afghanistan sont considérés comme les régions les plus denses des forces d'Al Quaïda et le déploiement militaire s'opère sous le nom d'Enduring Freedom (Liberté immuable). La France participe à l'effort de ce que les USA considèrent et vont mener comme une guerre, y compris en Afghanistan. Il y est nécessaire de pouvoir compter sur des traducteurs issus de la population locale. Ces hommes, les Tarjuman, savent les risques qu'ils encourent à collaborer avec les armées occidentales. Ils le font car ils épousent la cause de la lutte contre un Islam des fous de Dieu. Bien souvent, ils sont au contact de nos soldats lors d'opérations de « nettoyage », ce ne sont pas des bureaucrates. Quelques fois, ils prennent des risques inconsidérés pour sauver un militaire. Oui mais voilà, quand la France quitte leur pays, elle les abandonne, ne répond pas aux promesses de leur accorder l'asile politique, instruit les dossiers à la vitesse d'un escargot, quand elle ne les stocke pas dans une pièce obscure...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il y a des livres qui ne donnent pas envie de rigoler. Ils vous prennent à la gorge et/ou vous nouent le ventre, en décrivant une réalité bien souvent tue, en vérité escamotée. Brice Andlauer et Quentin Müller traitent ici d'un sujet qu'ils connaissent bien, eux qui sont respectivement journaliste et reporter indépendants. Le sous-titre de cet album donne le ton : les forces françaises engagées en Afghanistan entre 2001 et 2014 se sont appuyées sur 800 interprètes, payés comme tels et natifs du pays. Et quand la décision inévitable du désengagement s'est posée, ils ont été abandonnés. Ce n'est qu'en organisant une pression médiatique sur « les politiques » que la situation à l'égard de ceux qui ont servi l'intérêt de la France, a changé, petit à petit. Au compte-goutte, car au moment où le livre est en cours de réalisation, on en compte 250 et leurs familles. Ce livre s'appuie donc sur la réalité et concrètement, il décrit le sort de trois traducteurs, de leur désœuvrement une fois devenus des laissés-pour-compte d'une guerre à laquelle ils ont participé pour libérer leur pays du joug des Talibans. Et de la mort qui leur est promise, de l'exode pour certains et de la séparation familiale. Pierre Thyss choisit un dessin très simple, comme pour renforcer le propos avec un « habillage visuel » très sobre : des petits bonhommes aux têtes rondes qui renvoient à l'universalité des hommes. Voilà, la France, pays des valeurs humanistes, offre ici le visage hideux de l'abandon. Pire : elle déserte les valeurs qui font que ces hommes ont pris tous les risques aux côtés des soldats. Avec ce livre, c'est un peu le visage de notre pays qui se couvre de honte. Les auteurs ont l'immense mérite, avec le soutien de Caroline Decroix, avocate engagée pour la cause, de nous mettre face à un miroir dont on ne peut se détourner.