L'histoire :
Cet enfant était particulier. C'était peut-être à cause de ses lunettes à cordon. Ou peut-être parce qu'il n'avait commencé à parler qu'à l'âge de 6 ans. Enfin, c'était du charabia, au début... Alors ses parents étaient un peu désemparés. « On a peur », disait le papa. « On ne sait plus quoi faire », disait la maman. L'arrière grand-mère disait que les enfants comme ça, il faut en faire des artistes. Mais c'est bien connu que les vieilles personnes, on ne les écoute pas plus que les enfants qui ne savent pas parler. Les enfants comme lui doivent passer beaucoup de tests pour savoir à quel point ils sont bizarres. Comme un lot de jouets avec lesquels il faudrait faire une ferme, selon la personne qui calcule la bêtise des enfants. Mais les gens qui calculent la bêtise des enfants ne comprennent pas pourquoi les animaux ne sont pas en cage, alors ils ne peuvent pas comprendre que c'est tout sauf bête, si cet enfant comme ça forme un enclos et place tous les jouets à l'extérieur. Alors les institutrices écoutent les gens qui calculent la bêtise des enfants et répètent la même chose. En fait, les enfants particuliers, on ne les mélange pas avec ceux dont on ne doit pas calculer la bêtise. On les enferme entre-eux...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec cette première BD, Antoine Bréda se distingue assez radicalement du lot des parutions (estimées à plus d'une quinzaines de nouveaux albums de BD par jour). Par le fond et par la forme. Tout commence avec un enfant, dont on se demande s'il est en situation de handicap, sans jamais non plus employer le terme. D'ailleurs, qu'est-ce que ça veut dire d'emprisonner un gosse dans une catégorie ? Il est comme ça et c'est comme ça qu'il est. La boucle devrait être bouclée. Mais un signe, comme le développement tardif du langage, et le voilà arraché à son enfance pour devenir l'objet des réflexions et tests des grands. De ceux qui connaissent, tout du moins qui prétendent connaître, qui pensent savoir... Puis c'est la figure du père qui prend le relais. Un homme qui a tout du brave gars, malheureusement aliéné par sa propre vie, qu'il transforme en temps ritualisés. Le fameux métro-boulot-dodo, avec la télé en guise d'avant-dernière étape. De préférence toujours le même programme, creux... Et cet homme va finir à la dérive, quitté par sa femme, il perd tous ses repères. Drame banal et quotidien. Heureusement, il rencontre des personnes prêtes à faire ce qu'elles peuvent pour lui. Mais leur bonne volonté ne suffit pas à reconstruire ce qui est détruit, ainsi va la vie... Avec beaucoup de délicatesse et de sensibilité, Antoine Bréda interroge ce qui fait une vie, ce qui fait qu'on passe à côté, à force d'internaliser des règles absurdes qui n'ont que le seul avantage de créer l'illusion que tout est immuable. Ces petites prisons dans lesquelles on se niche tout seul, devenant son propre bourreau et geôlier, à force d'être poussé par ce qu'on pense devoir faire pour être « normal ». Et puis la dernière partie fait écho à la première, à ceci près que l'enfant est le même, mais qu'il ne connaît pas les difficultés de celui à qui il répond symboliquement, celui du début d'album. Et la vie est la même pour lui aussi : ses parents sont séparés et il a quand même des moments de bonheur. Alors la Morale de cette histoire est aussi belle que simple : Un enfant comme ça parle de l'Universalité. Parce qu'après tout, un enfant est beau comme la vie, qu'il soit comme ceci ou comme cela. Oui, Antoine Bréda nous fait une démonstration d'une grande sobriété, à l'image de son graphisme faussement sorti des doigts d'un enfant de 5 ans : la vie n'est pas facile, mais elle est belle, qu'elle soit comme ci ou comme ça...
