L'histoire :
Ce matin de 1885, un carrosse attelé file à travers une forêt du Val de Loire. A son bord, un juge de Tours a été débauché par Monsieur Vautrin, chef de la sûreté parisienne. Vautrin est pressé de coincer celui qu’il prend pour un odieux calomniateur, qui lui a causé bien du tord : l’écrivain Honoré de Balzac. En effet, Vautrin accuse Balzac, célèbre romancier, de s’être inspiré et d’avoir déformé sa personne, pour en faire un personnage ambiguë de son œuvre, la Comédie humaine. Or Balzac se retire régulièrement au château de Saché, chez son ami Mr Margonne, pour fuir le tumulte parisien et écrire en paix. Le binôme est froidement accueilli par Margonne et sa filleule. Car de but en blanc, Vautrin exige que Balzac les suive pour être emprisonné à Tours. Malgré les incroyables accusations portées à son endroit, l’écrivain ne se démonte pas et demande à son hôte d’offrir le gîte et le couvert au juge et au chef de la sûreté. Il sera bien temps, le lendemain, d’avoir une discussion apaisée et sérieuse entre gens de bonne compagnie, au sujet des griefs qui sont portés contre lui…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La mécanique qui consiste à faire se rencontrer un écrivain et l’un de ses personnages n’est pas une mise en abîme tout à fait nouvelle. Ici, le sulfureux Vautrin, personnage de policier, mais aussi ancien malfrat, faux prêtre et véritable manipulateur récurrent dans la vaste Comédie humaine de Balzac, se retrouve en 1885 face à Honoré de Balzac himself, qui l’a inventé. N’y voyez aucune incursion du fantastique : puisque le romancier s’était authentiquement inspiré de Vidocq en son temps, ce Vautrin là est un homonyme fictif, mais qui correspond dans les grands traits au personnage des romans. Or ce Vautrin s’insurge contre cet écrivain qui lui taille une réputation de malfrat pervers et calculateur. Après avoir débauché un juge, il tente de prouver les méthodes infâmes de Balzac et trépigne qu’on l’emprisonne. C’est l’occasion pour le scénariste Bruno Lecigne de faire de nombreuses incursions dans des passages emblématiques des romans de Balzac, pour illustrer telle ou telle calomnie. Pour être bien identifiés par rapport au présent de narration colorisé, ces extraits se déroulent via un monochrome ocre. On voyage ainsi dans le Père Goriot, Les illusions perdues, Splendeurs et misères des courtisanes, aux côtés de figures emblématiques de l’œuvre comme Eugène de Rastignac ou Lucien de Rubempré, mais aussi au travers de la nombreuse correspondance de Balzac avec Ewelina Hanska. Les amoureux de littérature vont d’autant plus se régaler que le scénariste soigne son verbe… et que le dessinateur Régis Penet déploie une griffe semi-réaliste congrue, au décorum documenté et aux cadrages toujours justes. Notez enfin que ce one-shot de 92 planches a été réalisé en partenariat avec le musée Balzac-Château de Saché (Indre-et-Loire), où se déroule cet astucieux simulacre de procès civil, et où se tient pour 6 mois (à compter de la date de sortie de l’album) une exposition interactive spéciale Vautrin.
