L'histoire :
Une vague de chaleur extrême est en train de s’abattre sur New-York, en ce samedi 28 août 1948. Une dizaine de personnes auraient déjà trouvé la mort, en raison de cette canicule insupportable, indique l’animateur radio de NBC. La plus grande prudence est donc recommandée. Anne Scheffer, la cantatrice star, entame alors en direct dans les studios, le succès de Cole Porter, In the Still of the Night… La musique parvient aux oreilles d’une serveuse de cafétéria de la 33ème rue, où les clients se fond d’ailleurs très rares. Seule et apparemment triste, la jeune femme s’imprègne des paroles de la chanteuse. Ailleurs, un écrivain en herbe apprend de l’éditeur Bradford and Pettiford que son projet de livre a été rejeté. En prime, il lui a été conseillé d’embrasser une autre carrière que celle d’auteur. Solitude, alcoolisme, désillusions et chaleur insoutenable vont entrainer tout ce petit monde dans les ténèbres, dans « la chronique d’une nuit qui peine à voir le jour »… Un drame est en train de se jouer, dans l’ambiance feutrée et faussement silencieuse d’une ville qui ne dort jamais.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le canadien Pascal Blanchet annonce tout de suite la couleur : Nocturne s’adresse « à ceux que la nuit effraie ». On pourrait ajouter qu’il sollicite aussi davantage les sens du lecteur que son intellect. Campant un décorum nocturne de canicule, Blanchet fait évoluer en parallèle trois personnages aux trajectoires bien singulières, toutes marquées par l’échec, la solitude ou l’incommunicabilité. Quoi de mieux pour se retrouver que de s’engouffrer dans la nuit noire de New-York, royaume de l’indéterminé d’où peut jaillir tous les possibles. Très peu de mots ici, et beaucoup de musique, jazz et blues le plus souvent, berçant la lente succession d’illustrations suggestives ou éloquentes. Ici la pluie, là-bas un diner déserté ou un café qui dégouline, plus loin un coup de téléphone qui se perd dans les limbes obscurs. Il faut donc accepter de se laisser pénétrer par l’ambiance nostalgique et mélancolique du dessin, fait de lignes élégantes et d’aplats de couleurs évanescents. L’auteur, à la manière d’un Serge Clerc, insuffle un côté rétro tant à ses décors qu’à ses personnages, en composant des architectures inspirées d’un design art-déco et habillant ses figurants à la mode des fifties. Présence fugitive qui dure le temps d’une chanson, paroles éphémères d’une chanteuse en équilibre instable, espoir fugace d’une réussite littéraire, les éléments se conjuguent tragiquement dans l’anonymat de la métropole chaude et étouffante, qui fait écho à la nuit vide et indéterminée, jamais vraiment silencieuse, jamais tout à fait morte…Audacieux, le traitement narratif fait de longues séquences illustrées, laisse donc toute liberté au lecteur pour projeter ce que bon lui semble et imaginer ce qui se joue dans ce drame nocturne intimiste. A noter le très beau travail d’édition, avec une couverture sobre et élégante notamment, à l’image de l’esthétique jazzy et arty du livre.