L'histoire :
Sous une couverture colorée reprenant dans un grand carré central quelques codes du médium un peu éculés : bulles ronde et carrée, bulle d’explosion, cris, onomatopées, le tout souligné par une sélection de quatre petites reproductions de couvertures d’albums alignées : Culottées, Mafalda, Corto Maltese, Lucky Luke, ce nouvel ouvrage documentaire assez luxueux, entièrement réalisé en couleurs, annonce en sous-titre nous faire découvrir « les artistes, les styles, et les histoires qui ont façonné le 9e art ». Cela est fait en 216 pages réparties en quatre grands chapitres : 1922-1945 ; 1946-1969 ; 1970-1990 ; 1990-2010, eux-mêmes divisés en 6 à 18 présentations d’un thème différent, chacun suivi à chaque fois d’un focus sur un personnage, un ouvrage particulier ou un artiste.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
« 100 ans de bande dessinée « ... en 2023. On peut s'interroger sur ce titre un peu péremptoire, puisque les amateurs savent que le media qui nous intéresse remonte à un peu plus que ça. D'ailleurs, un ouvrage chez Atlas, intitulé de la même manière et paru en 1996, faisait donc remonter sa naissance à 1896. Interrogé, l'auteur nous répond : « Parce que le 100 ans de BD de 2023 n'est pas celui de 1996. Ce n'est pas une mise à jour, mais une création. Et le souhait de nous montrer en prise avec le moment présent. » On commence donc avec les Pieds nickelés (1912) et, en réitérant l'information (à relativiser) que les États-Unis seraient à l'origine de la bande dessinée, avec les strips publiés dans les journaux d'époque. N’ergotons pas si l'on souhaite avancer dans cet ouvrage et prendre un minimum de plaisir, car il y a matière. Yaneck Chareyre est un vrai amateur et a lu les titres dont il parle, cela se sent. Néanmoins, le choix des iconographies accompagnant les thèmes peut perturber. Celui sur la bande dessinée d'horreur, apparue dans les années 50, avec le seul manga Spiral comme illustration, en est un exemple. Passer de « l'ère des comics strips de journaux » à « la seconde guerre mondiale en bande dessinée » avec, là encore, seule l’image d’Il était une fois en France (Glénat 2007-2008) peut aussi surprendre. Il ne faut pas non plus demander trop de précisions aux articles, présentant très succinctement un courant, une thématique. Les notices sur un personnage ou un titre sont un peu plus poussées, mais les choix sont très personnels. De fait, ce qui se présente ni comme un dictionnaire (pas d'entrée alphabétique, ni définition, ni biographies), ni comme une encyclopédie (aucun index et une bibliographie très sélective réduite au minimum), se positionne donc dans un créneau « entre deux » réservé à un grand-public amateur, mais non féru. On appréciera cela dit la maquette aérée, les thématiques abordées, assez originales et modernes, telles : « dépasser les limites de la BD, l'émancipation des autrices, l'âge d'or des coloristes, la BD d'aviation, la BD de kiosque, l'animé : relai essentiel de la BD, les grands prix de la critique (l'auteur y est jury), la reconnaissance du scénariste, le Crowdfunding, une autre façon de publier la BD, l'avènement du French Manga ; les choix d'albums récents mettant en avant les mangas, Webcomics, blogs et web toons, et certaines collections jeunesse ou de reportage. Néanmoins, tout cela n'est qu’effleuré (aborder la BD argentine en ne présentant qu'Alberto et Enrique Breccia, Carlos Trillo et Lucas Varella ; réduire la bande dessinée indépendante américaine à un focus sur Fun Home et à un raccourci passant de Robert Crumb à Linda Medley en à peine trois colonnes), donnant une idée très vague – surtout sans illustrations correspondantes – aux lecteurs visés, et méritait à minima de renvoyer sur des références plus pointues en fin d’ouvrage. Or on doit se contenter de 8 livres qui parlent de bande dessinée, ne citant même pas, c'est un comble, le dictionnaire de Patrick Gaumer, dont la dernière édition chez Larousse datant de 2010, reste une référence mondiale incontournable. Le papier est épais, la maquette agréable, et le style sincère et intéressant. Cependant, à l'inverse d'une encyclopédie dans laquelle n'importe quel lecteur peut piocher, l’auteur a choisi un style d'écriture plus littéraire, impliquant un engagement d'un lecteur adulte, les références citées étant enfouies dans son propos. Il s'agit donc d'un livre intéressant, mais dont la forme hybride, malgré le choix de sa couverture populaire, risque de manquer son public cible. Qui lira verra.
