L'histoire :
Le 11 novembre 1943, Albert Clavier, issu d'une famille grenobloise plus que modeste, a 16 ans lorsqu'il assiste de loin à une manifestation communiste contre l'occupant allemand. Il en revient comme galvanisé et fier de son grand frère Henri... quand bien même celui-ci est arrêté et déporté. 4 ans plus tard, dans l'engouement de la libération, Albert s'engage dans l'armée, plus précisément dans l'artillerie coloniale. Il veut alors se sentir utile à sa patrie et voir du pays. Or, à cette époque, la France entre en guerre contre les rebelles d'Hô Chi Minh, en Indochine. Le discours officiel est d'assurer la continuité de la France et de la civilisation dans la colonie. Rapidement, pourtant, au regard du comportement odieux de ses pairs et des exactions immondes commises au nom de la « liberté », Albert commence à douter du bien-fondé de cette oeuvre de pacification. Contre toute recommandation, son tempérament pacifiste et ouvert aidant, il entre en contact avec la population. Il sympathise alors avec une fillette... et comprend peu à peu qu'il représente l'envahisseur et qu'il s'est fourvoyé en participant à cette guerre. Il tente de se faire réformer... et écope de 4 mois de taule. Affecté à Lang Son, dans une zone en retrait des combats, il sympathise de nouveau avec Bat, un professeur qui lui avouera plus tard être un combattant Vietminh...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans une démarche aussi proche du journalisme que de la bande dessinée, Maximilien Le Roy narre à travers cet épais livre souple de 183 planches, l'histoire quasi-véridique d'Albert Clavier, un français communiste engagé dans la force coloniale en Indochine. Sans doute impressionné et désireux de rendre hommage à ce drôle de patriote, après la lecture de son autobiographie, Le Roy retrace ici en images son parcours de vie tumultueux, avec rigueur et respect. La psychologie de l'homme est précisément décortiquée : il est humaniste, patriote, et son éducation le fait vibrer pour la cause communiste. Or, évidemment, quand on s'engage sous les drapeaux à la veille de la guerre colonialiste française en Indochine, c'est peu dire qu'on se trouve au mauvais endroit au mauvais moment. A 95% en voix off et à la première personne, la narration prend le temps d'expliquer les décisions qui amèneront Albert à rejoindre le camp Vietminh et finalement à être condamné à mort par contumace, pour trahison envers sa patrie. Et bien que l'assimilation au héros, comme processus naturel de la lecture, encline souvent à le penser, cet ouvrage n'est pas un plaidoyer pro-communiste. Jusqu'à la fin, en effet, ce héros authentique doutera que son engagement est bien en accord avec ses idéaux. Le dessin – un style réaliste moderne, souvent dépouillé, juste rehaussé de bichromie – rebutera peut-être quelques lecteurs, en raison de son austérité. Cette griffe se montre pourtant parfaitement en phase avec le propos politique et humaniste, d'une régularité et d'une cohérence exemplaires. Un sacré boulot doublé d'un bel hommage...