L'histoire :
Tout commence par une immense vague qui s'approche de l'île de Damanuestra. Les sirènes retentissent et la foule se précipite vers les abris. Les pêcheurs se réfugient dans les conduits de protection, tandis qu'Oscar, le Kondukator de la République, laisse exploser sa colère dans la salle à manger de son palais en forme d’œuf. Les prisonniers politiques sont remis en liberté de manière inattendue, cyniquement offerts en victimes au raz de marée qui s'annonce. Mais lorsque l'immense masse d'eau est sur le point de s'abattre, un homme debout sur un rocher, les bras tendus vers le ciel, semble détourner la furie des eaux. Son visage épuré montre une sérénité incroyable alors que les murs liquides l'entourent. La vidéo est immédiatement apportée au palais gouvernemental par les autorités religieuses. Le régime considère immédiatement que l'homme aux pouvoir étranges est une menace pour la stabilité du gouvernement, imaginant ce qui pourrait se produire si une partie de ses pouvoirs était mise à la disposition du peuple. Une femme nommée Isha sort d'un souterrain à l'endroit même où se trouve Face de Lune, et l'emmène à l'écart de la menace des soldats qui s'approchent déjà. C'est le début d'une fuite à travers l'île, ou les deux compagnons vont croiser les populations de pêcheurs et leur chef autoproclamé, et des groupes de résistants cachés sous la surface. Qui est cet homme étrange qui ne s'exprime qu'en articulant des nœuds extraordinaires dans ses doigts ? Quel rôle va-t-il jouer dans cette société soumise à un pouvoir délirant, protégé par ses pouvoirs étonnants qui se dévoilent petit à petit ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec un dessinateur comme François Boucq, Jodorowsky peut laisser son imagination débordante s'exprimer. Tout est possible sous la plume d'un des grands maîtres du 9ème art : le visage esquissé de Face de Lune au milieu d'un univers fourmillant de détails, ou bien une vague immense qui déferle sur la ville et emporte les corps. Cette première collaboration entre les deux auteurs est très marquée des thèmes favoris du scénariste d'origine chilienne. Une forme de mystique divine autour du personnage principal, une société complexe aux ramifications multiples où se côtoient des délires sexuels et la dictature d'une caste en partie dégénérée. Dans son approche, ce récit est une forme de transition entre les années les plus délirantes de l'époque Métal Hurlant, et l'exigence de scénarios un peu plus construits qui allaient d'une certaine manière caractériser les années 90. Face de Lune offre un peu des deux mondes, avec de grands passages oniriques qui marquent les étapes d'une intrigue assez construite. L'univers de l'île Damanuestra aurait pu donner lieu à une série au long cours. Ses personnages sont riches, les multiples micro sociétés imaginées par Jodorowsky sont à peine évoqués tout en étant conceptuellement déjà très fortes. Mais la fuite de Face de Lune qui s'étale sur près de 150 pages est surtout l'occasion de décrire les différents aspects de l'absurdité du monde dans lequel il vit. Elle offre plusieurs niveaux de lecture, du très efficace premier degré à la réflexion décalée et tournée en dérision sur le rôle des prophètes, gourous et messies de tout poil. Datant de près de 30 ans, les dialogues ont étonnamment pris un coup de vieux, avec un mélange d'argot détourné et de mots branchés de l'époque, qui n'évoquent plus grand-chose aujourd'hui. C'est le seul décalage relatif qu'offre la relecture de ces aventures, qui restent sinon un bel exemple de la collaboration réussie entre deux artistes pleins de talents et de personnalités.