L'histoire :
La première bataille dont Vincent Bosse raconte le souvenir est celle de Borodino. Le jeune tambour se rappelle des moments d'attente après les derniers roulements sur son instrument, lorsque le caporal Martinet lui confirme qu'ils tiennent la place. Et soudain, Napoléon qui passe sur son cheval et dirige son regard vers eux, Vincent est certain que c'est à lui que l'empereur a souri. Forcément, car sa belle gueule a toujours attiré les faveurs, c'est toujours à lui qu'on sourit ! Tout avait commencé deux ans plus tôt lorsqu'il s'était fait attraper par un militaire qui récupérait les conscrits, jusqu'au séminaire où il envisageait d'embrasser la vie religieuse pour éviter l'armée, et parce que le curé l'aimait beaucoup. Vincent est devenu un vieil homme et il se confie à cet inconnu venu recueillir son témoignage sur la campagne russe de Napoléon. Il raconte le pillage des cadavres après la bataille, Moscou qui se rend sans combattre, et les jours passés dans une villa réquisitionnée proche de la ville. Il raconte les pillages, la violence sans retenue, et les cosaques qui observent de loin, attendant leur heure. Il avoue aussi que s'il a survécu au carnage de la débandade qui allait suivre, c'est à sa lâcheté autant qu'à sa belle gueule qu'il le devait.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Beaucoup d'originalité dans cette traversée de la campagne de Russie aux côtés d'un jeune tambour de l'armée qui va survivre aux pires batailles. Petit à petit, on réalise que le vieil homme qui se confie n'est pas fier de son comportement à de nombreuses occasions, abandonnant souvent ses compagnons lorsque sa vie est en danger. Le regard sur sa belle gueule d'enfant innocent, souvent porté par d'autres hommes autour de lui, reste partiellement un mystère, savamment dosé par l'auteur. L'homme qui se confie plus de cinquante ans après les évènements n'a évidemment plus rien en commun avec le jeune soldat, mais on devine que son regard sur son propre passé est totalement marqué par le souvenir de sa propre lâcheté, et d'une sorte de privilège indu qui lui a sauvé la vie à plusieurs reprises. Le traitement graphique est l'autre dimension réellement intéressante de ce livre de Simon Spruyt, jeune auteur belge prometteur. Lorsque la narration l'exige, les personnages et les décors sont dessinés avec précision et des contours bien définis, puis basculent dans une semi abstraction pour des scènes de violence dont l'horreur s'en trouve accentuée. L'enchaînement des styles semble un langage tout à fait naturel pour le dessinateur, qui contrôle très bien l'effet produit par ces différences de traitement visuel. Et certaines pages sont de véritables toiles sur lesquelles on s'arrête un instant, surpris par leur force. Une lecture qui surprend pendant quelques pages, avant de captiver par son originalité et la force de son contenu.