L'histoire :
En novembre 2015, Pénélope est chirurgien de guerre à Alep, volontaire au service d’une organisation humanitaire. Depuis 10 ans, elle a enchainé pas moins de 32 missions, notamment aux alentours de cette ville de Syrie, théâtre d’une terrible guerre civile. Quand elle y va, elle y reste désormais de longs mois, opérant d’arrache-pied pour sauver des vies souvent innocentes. Clairement, sa famille de la voit plus à Bruxelles, où résident son mari Otto et sa fille de 13 ans, Hélène. Mais aujourd’hui, Pénélope rentre. Et ce retour à la vie « normale » lui est de plus en plus difficile. Elle vit les retrouvailles avec détachement et elle dénie aussi profondément qu’elle le peut son sentiment de culpabilité. Elle se sent coupable d’abandonner les siens à Bruxelles, mais aussi coupable d’abandonner ses victimes à Alep, coupable d’échouer systématiquement des deux côtés de sa vie. De fait, c’est devenu une habitude, son retour se fait sans effusion de joie. Elle était absente lorsque sa fille a eu ses règles pour la première fois – c’est sa grand-mère qui a géré. Chacun tente à sa manière de lui faire renoncer d’y retourner… Mais le sens de la vie, la vocation médicale, l’utilité personnelle l’appellent à repartir très prochainement. Avant cela, elle souscrit aux exigences familiales des repas insouciants en communauté, aux obligations de contrôle psychologique au sein de son hôpital de tutelle. Et aussi, cette fois, Pénélope a rapporté le fantôme d’une fillette morte avec elle…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En 2012, Judith Vanistendael nous avait déjà secoués avec David, les femmes et la mort. Puis avec Salto en 2016 ; voire encore à travers l’histoire courte d’une immersion dans un camp de réfugiés publiée sur le site de lemonde.fr. Avec Les deux vies de Pénélope, elle continue de creuser ce sillon humain et géopolitique très actuel, inacceptable et bouleversant. Inspiré de l’Odyssée d’Homère, selon un paradigme inversé (c’est Pénélope qui part, pas Ulysse), le prisme est celui d’une chirurgien de guerre qui rentre chez elle après avoir enchainé des mois et des mois de missions. Une femme confrontée à l’horreur quotidienne, minée par le désespoir de réparer une communauté sans cesse ravagée. Une femme face au mythe de Sisyphe de l’horreur, au point d’en perdre ses réflexes émotifs. L’amour familial à l’occidental, tel que nous le vivons tous plus ou moins en Europe, lui semble désormais une posture superficielle, certes importante pour l’équilibre de toutes ses composantes, mais si futile… Indirectement, à travers le marasme psychologique dans lequel est engluée Pénélope, l’auteur nous parle de l’horreur de la guerre et de la crise migratoire. Son sens de l’humanité lui impose d’être victime indirecte et volontaire d’une guerre qui n’est pas la sienne. Cet album nous parle aussi de la culpabilité des mères qui font le choix (égoïste ?) de leur carrière plutôt que de leur sens matriarcal. En somme, beaucoup de sujets profonds et très actuels. Le ton direct des dialogues et des narratifs, les postures réalistes et matures de chaque membre de la famille, offrent au lecteur le recul nécessaire sur le pathos. Et le dessin picoboguien, un trait stylisé rapide, complété d’une colorisation aquarelle, est en phase avec le propos. Une œuvre forte qui, sous couvert de cerner une crise géopolitique, interroge le lecteur sur sa propre humanité, sur le sens de sa destinée.