L'histoire :
Jules, casquette retournée sur sa longue chevelure d’artiste en devenir, est le cadet de son frère Martin, colosse barbu. Tous deux font un voyage entre frères en Norvège, pour y faire un trekking « ressourçant ». A la sortie de l’embarcadère danois, ils sont fouillés au corps par les douaniers. Leur nationalité belge n’inspire pas confiance quant à leur usage de drogues… Ils perdent un peu de temps, mais peuvent poursuivre leur périple à bord de leur petite voiture jaune, direction les grands espaces isolés et sauvages de la Norvège. Ils discutent un peu, mais pas trop. Martin trimballe une douleur intérieure dont il ne veut guère parler. Pas à plus à son frère qu’à son ex femme, Amandine, qui l’appelle régulièrement sur son portable… Mais Martin ne décroche jamais. Ils taillent la route et s’arrêtent de temps en temps pour faire des pauses devant l’immensité des paysages déserts. Jules doit notamment remplir un carnet de croquis pour son examen de fin d’études. Alors il griffonne souvent. Régulièrement, leur discussion aborde la question de la religion. Car récemment, Martin s’est converti aux… mythologies scandinaves. Il croit en Odin, Thor, Tyr, Loki… et le soir, devant le feu de camp, à côté de leur tente plantée en bivouac, il explique toute la cosmogonie à son frère. Le lendemain, leur GPS ne capte pas grand chose. Jules est chargé de planter la tente au bord d’une route, tandis que Martin part avec la voiture en reconnaissance, en quête de quelqu’un qui aurait une carte. La météo s’annonce glaciale…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans ce roman graphique à forte pagination, le périple norvégien glacé auquel se confrontent les deux frères Martin et Jules est plus symbolique que météorologique. Car si l’objectif géographique de leur trekking est le célèbre Preikestolen (un rocher en surplomb au dessus d’un fjord), ils sont surtout venus en cet endroit pour y trouver autre chose d’intime et d’impalpable. Dès les premières planches, on sent un poids du non-dit, une douleur intérieure, qui ne se révélera que lors des dernières pages. Et que nous éviterons de vous divulgâcher. Le jeune auteur Jean Cremers scénarise cette histoire bouleversante avec une belle maturité. Les étapes initiatiques de cette fratrie qui se cherche, se chamaille, se réconcilie, ainsi que le travail tortueux de la résilience, sont imprévisibles et amenées en dehors des sentiers battus. Et c’est un bel hommage que Jean Cremers rend à son grand frère, car cette histoire est autobiographique à 50%. En effet, le personnage de Jules est son alter-ego, il a bien fait ce trekking au Preikestolen avec son frère Martin et la conversion authentique de ce dernier à la mythologie scandinave l’interpelle. Cremers fait souvent parler les silences et il laisse une place éloquente à la contemplation dans des paysages hostiles et démesurés. Le dessin moderne, composé de traits fins infographiques assez justes et de belles profondeurs de champs, s’inspire de la griffe de Gipi, un gros travail sur les couleurs en plus. C’est beau, ça nous remue, ça nous remet face à l’essentiel. Une sacrément belle première œuvre.
