L'histoire :
L’œuvre : Un homme sans pieds et sans mains est assis en costume au bord d’un lit, d'une maison spartiate. Entre les poutres du plancher du dessus, pendouillent deux bras et deux jambes. Ses membres reconstitués, il s’est attablé pour boire un bol de soupe. Il fait le ménage chez lui à l’aide d’un balai. Puis il s’installe pour peindre les yeux d’une marionnette en bois qu’il est en train de confectionner. La marionnette n’en est qu’au stade du buste, sans mains, mais ainsi peint et formé, son visage la rend déjà terriblement vivante. Dans l’entrebâillement de la porte, une autre marionnette de bois, entièrement faite celle-là, et bien vivante, espionne l’avancée de l’œuvre. L’artiste en costume repose son personnage sur une étagère, parmi d’autres. Il y a notamment Don Quichotte, Pinocchio et un moustachu en costume austère. L’homme traverse le séjour pour se rendre à la fenêtre. Il en perd son bras, qui git sur le sol. Il observe un chasseur qui traverse une forêt de bouleaux dans la neige…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Serge Kliaving nous avait déjà fait le coup avec Hôtel Atlantide et La maison du loup. Dans un style graphique proche de la carte à gratter, il enchaine des scènes glauquissîmes d’une pleine page qui, selon votre humeur et votre talent pour reconstituer un narratif par vous-même, forment ce qui ressemble vaguement à plusieurs histoires autonomes, fantomatiques et… totalement hermétiques. Ses personnages muets sont désincarnés, ils errent comme des âmes perdues ou décérébrées dans des maisons isolées et vides ou des forêts lugubres, ou des steppes désertiques et froides. Il leur manque des membres, ou les yeux, ou encore ils sont morts (tel Don Quichotte tué par… une éolienne !). Ils ont sans doute des intentions ou des aspirations, mais elles sont impénétrables. On ne comprend donc pas – voire jamais – ce que ces protagonistes inspirés de mythes veulent nous raconter, mais… c’est fait exprès. Kliaving nous prévient d’ailleurs en préface : « Ces livres où l’on pénètre comme dans un labyrinthe, une forêt, une maison hantée, sont les récits codés d’une vie. Celle de l’auteur, qui veut marquer ainsi son passage dans le monde. L’assassin qui signe son crime ne crie pas autre chose que : J’existe ! Une fois écarté le voile de la réalité, on découvre l’intérieur caverneux d’un homme, où résonne l’écho des évènements extérieurs. On peut être désorienté. » En somme, Kliaving assume de nous assassiner à grand coup d’hermétisme. Mais c’est trop tard, l’austérité ambiante nous a déjà poussé à la pendaison en refermant le bouquin.