L'histoire :
16 août 1893, marais de Fangouse à Aigues-Mortes. Est-ce la chaleur terrible, suffocante sous un soleil de plomb, qui fit bouillir le sang des hommes ce jour-là ? Est-ce la fatigue, ce travail harassant de bête de somme à récolter le sel ? Est-ce le sel qui assèche les gorges, brûle les paupières et mord la peau ? Ou ces nuits sans un souffle, ces nuits sans sommeil quand le corps n’en peut plus de fatigue et demande grâce ? Trop de lumière, affirment certain. Trop de ciel indifférent au sort des hommes. Certains disaient qu’on en arriverait là. Que le petit jeu de la compagnie de monter les misères les unes contre les autres se paierait un jour au prix fort. On ne saura jamais, au fond, ce qui a déclenché cette folie. Car des bagarres entre ouvriers, il y en a chaque année. Mais cet été là, les langues réclamèrent le goût du sang.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L’histoire est souvent faite de tragédies, notamment quand les hommes se laissent porter par leur instinct bestial le plus primaire. En 1893, dans le Gard, des ouvriers italiens qui travaillaient pour la Compagnie des Salins du Midi ont été massacrés par leurs collègues français et des villageois d’Aigues-Mortes. Ces lynchages ont fait dix morts et des dizaines de blessés. Alors que la compagnie des Salins met en place une rémunération au rendement, des tensions extrêmes vont naître entre les ouvriers. Les français vont accuser leurs collègues italiens de leur voler le pain de la bouche. Cet événement historique est ici romancé et renforce ainsi le caractère tragique des faits. Dès les premières pages de l’album, la tension est palpable : de provocations en insultes, des échauffourées vont éclater pour se transformer en chasse à l’homme et mettre la ville à feu et à sang. Le lecteur est rapidement immergé dans cette atmosphère suffocante : alors que le patron de la compagnie est confortablement installé dans sa propriété et contemple de son balcon ce triste spectacle, on perçoit la colère, la rage sur le visage des ouvriers. La contagion de cette haine de l’étranger va se propager crescendo à l’ensemble du village et rendre le récit de plus en plus oppressant. Le dessin sert parfaitement l’histoire avec des personnages expressifs, des couleurs chaudes. Un format un peu plus grand aurait permis à certaines planches d’être un peu moins ramassées. Un dossier explicatif de quelques pages en fin d’album vient apporter quelques éclairages supplémentaires sur cet événement ainsi que ses conséquences.