L'histoire :
Des fois, ça va. Mais d’autres fois, régulièrement, une gigantesque vague de culpabilité déferle sur Coco. Son emprise l’étouffe, la submerge et revient incessamment à la charge, lui faisant revivre les minutes qui ont fait basculer sa vie. Le seul biais que la dessinatrice trouve la présence d’esprit d’utiliser pour remonter à la surface et respirer, c’est le dessin. Alors Coco dessine. Elle dessine par exemple cette expérience de psychothérapie un peu moderne qu’on lui a soumise en mai 2015 : l’EMDR (pour Eye Mouvement Desensitization and Reprocessing). A priori, il s’agit de bouger ses yeux de droite à gauche pour reconditionner le cerveau, selon un protocole un peu particulier… Coco n’y croit pas trop, mais enfin, elle est prête à tout essayer. Elle se rend donc au rendez-vous, encadrée par les deux inévitables gardes du corps qu’elle est désormais obligée d’avoir toujours à ses côtés. Le thérapeute est souriant, c’est déjà ça. Il lui demande d’imaginer tout d’abord un espace mental dans lequel elle peut se réfugier lorsque cela est nécessaire. Le meilleur souvenir de bonheur intégral que Coco invoque est alors celui de la cueillette de champignons avec son papa, dans la forêt du côté d’Annemasse. Elle est allongée, elle se concentre sur son souvenir, un métronome est enclenché, l’expérience peut commencer…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Coco, de son vrai nom Corinne Rey, est dessinatrice à Charlie Hebdo. Elle y est présente en conférence de rédaction le 7 janvier 2015, jour de l’abominable tuerie des frères Kaouchi. Prise en otage, elle est forcée à composer le digicode pour permettre aux tueurs de massacrer ses amis et collègues. Depuis, elle est rongée par une incurable culpabilité et une infinie tristesse. Dessiner encore est le journal de l’aliénation psychologique qui en résulte. Evidemment, elle y met en abyme le déroulé du jour de l’attentat. Les terroristes y sont deux fantômes sombres et le massacre se résume à des Tak Tak Tak dans le noir. Coco parvient à exprimer la culpabilité immédiate qui s’ensuit, qui déferle sur elle et la tourmente obsessionnellement en prenant l’apparence de la grande vague de Kanagawa (la célèbre estampe japonaise), qu’elle décline sous moult aspects. Dans un désordre chronologique organisé, de son style graphique direct et charbonneux, proche de celui de Luz, Coco met en scène son quotidien d’avant, sa vie d’après, les thérapies foireuses, celles qui fonctionnent… et cette BD fait assurément partie de la cure. Afin que la catharsis soit efficiente, Coco dessine aussi et surtout le bonheur professionnel d’avant : la déontologie incarnée par Charb, la gentillesse de Cabu, la sagacité de Tignous, la bienveillance de tous les autres… Quand bien même le mood était à l’engueulade permanente entre les personnalités fortes qui faisaient Charlie, il régnait visiblement une ambiance formidable au sein de ces bureaux avant ce moment infernal. Bref, elle raconte sa vie, les moments charnières, les tempêtes et les périodes calmes… Le besoin est irrépressible et salutaire de dessiner tout cela. Notons en postface que la dessinatrice vient d’être appelée par la rédaction de Libé pour remplacer Willem, qui prendra sa retraite en avril 2021.