L'histoire :
Sur une colline surplombant Sbodonovo, Napoléon jure et éructe. Ses troupes prennent l’eau de partout, ses ordres sont mal exécutés et ses maréchaux rivalisent de flagornerie et d’incompétence. Pourtant, sur le flanc droit, un bataillon d’infanterie de ligne marche vaillamment vers l’ennemi, baïonnette au canon, sans tirer un coup de feu, droit sur les russes. Le 326ème est composé exclusivement d’Espagnols mutins de 1808 au Danemark, enrôlés de force ou à qui on a donné le choix des travaux forcés à la prison de Hambourg ou le front de Russie. Alors ils foncent, groupés, tête baissée sous le déluge de bombes… Car ils ont dans l’idée de déserter en masse et de rejoindre les rangs russes, dégoûtés qu’ils sont de celui qu’ils appellent affectueusement « le nain maudit » ou « le petit salopard ». Leur histoire est terrible, celle de leurs familles en Espagne aussi. Ils se rebellent une nouvelle fois. Mais Napoléon ne le sait, et pour saluer ce qu’il prend pour un acte de bravoure (et qui en est aussi un), il envoie Murat charger à leur côté. Mouvement complètement fou, inattendu. Gagnant. L’espoir des Espagnols s’envole, la bataille est gagnée. Pour l’instant…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Arthuro Pérez-Reverte est un écrivain espagnol à succès, adapté au cinéma pour ses romans Capitaine Alatriste ou La Neuvième Porte. Il a enchaîné les romans historiques comme Cadix ou la diagonale du fou, le Club Dumas. La place de l’Espagne dans les guerres napoléoniennes est sa marotte. Et Hergé (l’un de nos dieux) sait que Napoléon a fait souffrir les Espagnols… Ce récit, adapté du roman éponyme de Pérez-Reverte (non traduit en France) est inspiré d’une histoire vraie, véritable symbole des paradoxes de l’histoire. Un acte de désertion massif entraine une charge de cavalerie qui bouleverse et retourne le résultat attendu d’une bataille, et probablement de l’humanité. Napoléon défait à Sbodonovo, il n’y aurait pas eu de Bérézina. La fiction, ici, fait réfléchir sur les petits incidents qui font les grandes histoires. Dans la préface, l’auteur interpelle d’ailleurs le lecteur : si son récit est d’abord une farce historique particulièrement déjantée, il doit aussi faire réfléchir sur le cynisme et la bêtise humaine. Déjantée, l’histoire l’est. Et le ton aussi des récitatifs et des dialogues mordants et ironiques. Les maréchaux d’empire en prennent pour leur matricule. Le trait rond et volontiers caricatural de Rubén del Rincon rehausse ce côté farce et donne à l’ensemble de l’album une incarnation à la fois drôle et désabusée, une joie de vivre rehaussée d’une intense douleur. Les personnages sont déformés, les couleurs explosent, les gros plans entrent au plus profond de l’estomac du lecteur. L’absurdité de la vie est livrée pieds et poings liés par le duo espagnol, dans cet album délicieusement espagnol.