L'histoire :
Nous sommes en 1914. Mathurin Méheut est un dessinateur français en déplacement au Japon, accompagné de sa femme et de sa fille. A l'annonce de la mobilisation générale, il décide de revenir en France pour rejoindre l'armée. Laissant sa femme et sa fille derrière lui, il se trouve plongé dans une guerre folle, pris entre le feu de l'ennemi et une hiérarchie complètement à côté de ses pompes. Habitué à dessiner la faune et la flore marines, Mathurin surprend et amuse ses camarades de tranchées en capturant de ses coups de crayon la nature environnante et en leur dessinant de jolies femmes. Lui tient le coup grâce aux lettres qu'il envoie quotidiennement à sa femme, mais aussi grâce sa conviction que, quelle que soit l'issue du conflit, la nature reprendra ses droits et, qu'un jour, plus rien ne restera de tout ça...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C'est un sujet plutôt casse-gueule auquel s'attaque Maadiar. Alors que nous abordons les célébrations du centenaire de la première guerre mondiale, sortir une bande dessinée sur ce conflit et, qui plus est, un récit centré sur le personnage tout à fait réel de Mathurin Méheut, expose forcément aux critiques. Celle du public, mais aussi et surtout celle des historiens du dimanche, dont la passion est de débusquer de l'anachronisme à tout prix et surtout de s'assurer qu'on a de belles explosions d'obus et de longs plans de visages fatigués. Alors, est-ce que les baïonnette sont parfaitement rendues ? Est-ce qu'on hume le gaz moutarde se mêlant aux effluves nauséabonds de nos braves poilus patriotes ? A cela, répondons : on s'en tamponne. Il existe de chouettes revues spécialisées sur le sujet pour les soiffards du détail technique. Mathurin Soldat vaut avant tout pour son humanité et une poésie certaine. Nourrie de divers témoignages recueillis dans les lettres et carnets des soldats de la Grande Guerre, l'histoire de Mathurin n'est pas un récit torturé ou un pensum chargé de textes expliquant pourquoi la guerre, c'est dur. Ici, Maadiar retranscrit et imagine une suite de réflexions, d'observations et de vignettes extraites de la vie dans les tranchées. Mathurin s'échappe de la guerre avec ses dessins, sa femme et sa fille. Ses copains tombent au fil des escarmouches et des assauts complètement vains, visant à gagner parfois une dizaine de mètres. Qu'on lève la tête un peu trop haut et pouf, plus de tête. La vie devient tellement fragile qu'on ne s'offusque plus de rien, qu'il s'agisse des relations entre soldats ou des petits larcins masqués en réquisitions. Mathurin, lui, se dit qu'on est peu de chose. Une manière zen de relativiser l'horreur, en Somme. Il dessine la campagne argonnaise qui sert de théâtre au conflit. On apprécie, d'ailleurs, les efforts de Maadiar pour restituer ce décor, avec ses fermes et ses anciens – revenus de la guerre de 1870 – avec leur patois – difficilement compréhensible aujourd'hui. Techniquement, le dessin est un peu déconcertant au départ, mais il s'affine à mesure que les pages se tournent. Et les croquis de Mathurin sont superbes. On soulignera deux scènes : l'une est un plan incroyable et sinistre transformant le champ de bataille, la nuit, en fond marin d'où surgissent des crabes géants. L'autre est l'image d'un maire ânonnant le discours officiel et qui se transforme au fil des cases... Ce qu'on retiendra, c'est la futilité du conflit, futilité qui apparaît évidente sans jamais avoir besoin d'être assénée à grands coups de textes ou à travers les dialogues. Si vous cherchez un bel album traitant de la première guerre mondiale, prenez celui-là : il a du cœur.