L'histoire :
Depuis sa plus tendre enfance, on n’avait cessé de lui répéter : « Monsieur Fidèle, vous êtes un incapable, vous n’arriverez jamais à rien ». Ainsi, plus contraint que passionné, il était devenu représentant en aspirateurs, décrochant son diplôme à l’arraché. On n’avait cessé de l’enfoncer mais, aujourd’hui, il contemple l’horizon avec satisfaction. A force de volonté, il a atteint les sommets. A force de volonté et grâce à ses amis, Aimé et Isabella, devenue sa femme. Bientôt, il sera père de jumeaux, il sort souvent avec Aimé à l’opéra, sa librairie écoule à foison les œuvres d’Aristide Boulon, bref, il a tout pour être heureux. Pourtant demeure une inquiétude, une angoisse. Il sait que le temps passant, la maladie grignote inexorablement l’horizon d’Aimé. Deux amis si proches et, cependant, deux avenirs si différents. Il souhaite faire plus pour lui. Néanmoins il se refuse à lui offrir un emploi à ses côtés : il s’agirait de pitié et la pitié n’a rien à faire avec l’amitié. C’est alors que s’offre une opportunité. La révolution anarchiste couve, les œuvres d’Aristide Boulon, suspecté de sympathies, sont interdites et son dernier album, Poupées de sang, ne trouve preneur qu’outre Atlantique. Le Nouveau Monde, ce sera la dernière grande aventure que vivront ensemble Fidèle et Aimé. Une dernière aventure dramatique, pleine d’espoir…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Carême est peut-être la série la plus personnelle de Christophe Bec. L’auteur aime les trilogies : après Zéro absolu et Sanctuaire, il conclut ce premier cycle en apothéose. Thèse, antithèse, synthèse, il l’avait annoncé (lire l’interview) : cet épisode serait le plus fort des trois. Quoiqu’il s’en défende (ou le confesse à moitié), le scénariste y a mis beaucoup de lui, de son ressenti. L’usage de la narration « off » trahit une émotion, permet à la fois de restituer une distance et une intimité. Au travers du personnage tourmenté de Martinien Fidèle, l’auteur exprime ses angoisses et formule une réflexion sincère, à peine voilée, sur son métier ou la réalité sociale à ne pas perdre de vue, quelque soient les sommets atteints… Car les clins d’œil à l’actualité comme à « son » actualité sont nombreux. Prenez ce jeune dessinateur talentueux, Frank Romutta, qui relance la carrière de l’heureux éditeur : anagramme de Mottura bien sûr, son collaborateur et ami. Hommage à celui sans qui la série ne serait pas la même, sans qui elle n’aurait pu être. Le trait de l’Italien est fin, élégant, colorisé numériquement afin de rendre au mieux une infinie palette de sentiments. L’artiste a énormément progressé. Néophyte confirmé sur le précédent Cauchemars, il maîtrise désormais les multiples facettes de l’illustration BD. A l’aise dans l’action comme sur certaines planches « cartes postales » (pp. 8-9, 24-25 : superbes !), sur 10 planches continues (pp. 32-41), les voix se taisent et laissent parler un découpage, un dessin qui suffit à magnifier l’expression. Au terme du cycle, visiblement une véritable entente est née. Les nuances de tons sont ici à dominante or : métaphore d’un coucher comme d’un levé de soleil ? Lumière d’une fin puis d’un nouvel élan. Une mention spéciale au lettrage signé Agnès Moreau, simple et discret. Christophe Bec est bavard, il aime raconter des histoires, choisir ses mots, ses répétitions, des formules mélancoliques et gaies en phase avec un récit qui, après nous avoir fait passer des Nuits blanches, nous étreint une dernière fois, comme le ferait les tentacules d’un Léviathan…