L'histoire :
Un homme chauve, au regard lunaire, roule seul de nuit sur une autoroute peu fréquentée, à bord d’un grand monospace. L’essence venant à manquer, il s’arrête sur une aire pour faire le plein, s’étirer les muscles et se restaurer. A part le caissier, il n’y a pas grand-monde dans la boutique… Il fait ses emplettes, essaie des lunettes du présentoir et paie par carte bleue. Il vient aussi en aide à un couple de personnes âgées bloquées devant un distributeur de café. Ces deux-là ont chacun une valise et ils vont donc quelque part… mais où ? Ils sont bien incapables de le préciser. Alors le chauve leur propose de monter avec lui, à bord du monospace. Les voilà repartis tous les trois sur l’autoroute, paisiblement, comme s’ils avaient toujours fait partie de la même famille. Plus tard, plus loin, de jour, il faut refaire le plein sur une aire d’autoroute. Chips et soda sont achetés et payés par carte bleue. Entre les rayons, le regard du chauve croise celui d’une femme aux cheveux bruns et bouclés. Au moment de repartir, elle toque au carreau du monospace et demande elle aussi une petite place à bord. Les quatre voyageurs partent ensemble. Plus loin, plus tard, c’est un autre homme, croisé dans la pissotière d’une nouvelle aire, qui les rejoindra. Puis un enfant, qui grimpe dans le coffre en cachette…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Passé les premiers instants de stupéfaction, devant une intrigue aussi plate et monotone, on comprend rapidement que Polka sur autoroute, première œuvre du marseillais Dup, est une cinglante allégorie de la vie. Et si, finalement, on était tous passagers volontaires et asthéniques d’un monospace qui roule sans objectif fixe sur une autoroute ? Et si, finalement, la famille en tant que fondement psychologique était une supercherie ? Evidement plus proche de l’essai séquentiel un brin hermétique, que de la BD de genre grand-public, ce roman graphique en one-shot dévoile à proprement dire une anti-intrigue, un sommet de neutralité narrative. Car il ne se passe rien d’autre que cela : des gens inconnus les uns des autres, sans passé ni avenir, se retrouvent autour du désir basique et débonnaire de voyager ensemble, sans communiquer entre eux, sans arrière-pensées, sans autre finalité que d’avancer d’aire d’autoroute en aire d’autoroute. Leur décorum est composé du paroxysme des outils fades et impersonnels générés par notre monde matérialiste : autoroutes, alimentation industrielle, pleins d’essence, carte bleue, monospace. Stylisé et rapide, le dessin noir et blanc se rehausse d’un lavis de gris, pour une ambiance insipide et dépouillée adaptée ; et il est régulièrement ponctué de tableaux à la gouache couleurs représentant une autoroute, une station essence, un rond-point… Voilà pour l’exotisme. Ce qui est très fort, c’est que cette anti-intrigue quasi muette, au cours de laquelle les protagonistes n’ont pourtant que de charitables intentions, suscite un profond malaise et en dit finalement long sur nous-mêmes. Tourner les pages offre un sentiment de miroir : on regarde notre existence en se demandant à quoi tout ça sert… Brrr, ça fout les jetons. Et pour une première œuvre, c’est rudement finaud.