L'histoire :
J’avoue avoir toujours eu un petit faible pour les choses dégoulinantes et crémeuses, mais cela constitue peut-être un début d’explication un peu léger. Si je n’aime pas parler d’ « inspiration » (terme singulièrement ronflant à mon goût), j’imagine que la clé de cette supposée bizarrerie se trouve tout simplement dans mes goûts : j’aime les belettes empaillées, le slime, les gâteaux arc-en-ciel, les manuels d’anatomie, les grands chuves qui font des collages dégoûtants, les licornes, les poneys, les double poneys, les musées d’histoire naturelle et les taupes étoilées. (Amandine Urruty)
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Et lassata viris necdum satiata recessit : elle avait l’habitude de se retirer [au petit matin, de ses lieux de débauche] épuisée par les hommes mais non repue. (Juvénales, Satires, VI, 130). Ainsi parlait le poète romain de Messaline, la femme de l’empereur Claude. Cette seule citation introduit le présent ouvrage, premier recueil « nono-graphique » (selon le mot de l’éditeur) d’Amandine Urruty. Une phrase lourde de sens interdisant de se méprendre sur l’apparence enfantine de dessins à fort caractère sexuel. Jeune artiste encore dans sa vingtaine, Amandine Urruty avoue aimer « les choses dégoulinantes et crémeuses » (lire ci-dessus). Un phrasé qui peut être interprété de manière très différente, au premier et/ou au second degré. Entièrement muet – si l’on excepte l’épilogue raconté en fin – cet album n’est pas à proprement parler une bande dessinée, mais s’apparente plutôt au catalogue d’une possible exposition. Débordant de couleurs empruntées à l’ensemble de l’arc-en-ciel, « dégoulinant » de formes rondes et allongées et de « monstruosités » variées, Robinet d’amour ne se laisse pas aisément apprivoiser. Ses personnages semblent tout droit sortis des séries américaines policées du Golden Age. Une première approche « sage » rapidement pervertie par les multiples accessoires figurés (capote, sein nu, petite culotte, morve à l’allure de sperme, champignons nucléaires, etc.). L’interprétation sexuée n’est sans doute pas la seule ; les couples de personnages paraissent en quête désespérée d’affection, d’amour, dont les corps témoignent. Leurs regards ronds et abîmés contrastent avec cette célébration fluorescente et carnavalesque, pleine à la fois de pudeur et d’excentricité. En résumé, une collection d’allégories bariolées aux allures de guimauve, faussement enfantin, dégoulinant d’émotion, à apprécier et (ré-)interpréter de manière (très) partagée.