L'histoire :
L’orifice génital tourné vers le ciel, une créature femelle ailée attend son procréateur. Cela ne tarde pas : son pair masculin vient se poser et entame sa besogne. Durant la copulation la femelle dévore la tête de son conjoint, et ce dernier se vide des deux côtés jusqu’à ne plus être qu’une peau morte. C’est la saison des amours. Ailleurs, plus tard, deux types de créatures, les unes toutes en phallus (yeux, bouches et sexes), les autres toutes en vulves (yeux, bouches et sexes) se réveillent parallèlement au monde. Commence alors une grande migration instinctive. Les membres de chaque genre se regroupent par sexe et font marche vers les créatures du sexe opposé. Ils gravissent des montagnes, franchissent des rivières, affrontent mille périples et se trouvent enfin en vue les uns des autres. Ils accourent alors, se choisissent chacun un partenaire assez rapidement et se « connectent » par tous leurs organes reproducteurs. La copulation générale bat alors son plein, en un déluge de suintements organiques dégoulinants. Les mâles ressortent vidés de cette pratique naturelle, tandis que les femelles sont pleines. Le repos post-coïtal est de courte durée : à peine le temps de s’en remettre que naissent des dizaines de poupons, par tous les trous des femelles. La marmaille se met aussitôt à brailler de faim…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
N’y voyez aucun biais d’excitation, ne serait-ce qu’épisodique : ce mini récit purement sexuel, mettant en scène des créatures imaginaires pourvues de morphologies explicitement et exclusivement génitales, est en fait affranchi de tout érotisme. Certes, la précaution de lecture réclame néanmoins une ventilation de genre classé X… L’exercice osé de ce coït géant et poisseux n’est pas inintéressant en soi, mais juste un peu hermétique. Il choquera en outre plus d’une âme prude. Le toulousain Yann Taillefer livre pourtant un cycle de reproduction biologique, technique et organisé, instinctif et gluant, bien loin du mauvais goût d’un premier degré graveleux. Il embrasse logiquement un onirisme imaginatif totalement muet, bien qu’emprunt de mécanismes naturels qui paraîtront banals pour les naturalistes de tous poils (et plumes). Un temps durant (le premier tiers de ce mini album), on suit la progression des mâles à gauche, des femelles à droite. Ces séquences rappellent les flots de lemmings qui, poussés par l’instinct de reproduction, sont capables de mourir par millions, emportés dans le flux du nombre. Pour la forme, ce récit en noir et blanc s’étale dans un petit format carré (15 cm²), qui permet d’adopter un rythme quasi systématique d’une case par page. Sombre, simple et logiquement étrange, le dessin demeure d’une belle cohérence visuelle. Culotté et intéressant !