L'histoire :
Paris, vers 1861. Dans les locaux du journal montant le Siècle, de volubiles chroniqueurs accueillent un nouveau collègue, chargé de la mondaine (enquêtes policières) : le jeune Rouletabille. Celui-ci fait aussi une humide connaissance avec l'ostracisé René « la sueur » Dulac, journaliste un peu étrange, longiligne, à l'apparence de grenouille, et aux mains très moites. Tout ce petit groupe disserte avec verve. Mais le jeune Rouletabille huppé et Dulac vont s'enticher de l'affaire de vol de bijoux frappant la capitale, allant se mêler aux milieux interlopes afin d'enquêter de près. Au risque de sa vie pour Dulac, tombant sur une bien étrange société...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
On entre dans Delicatessen comme dans un tableau impressionniste. Le trait effiloché tout en courbes de Lucas Nine, fils du grand Carlos, au-delà de l’inspiration Honoré Daumier, pourrait évoquer les œuvres tortueuses d'Étienne De Crécy, si sa légèreté agrémenté de fusain coloré ne rentrait pas en opposition avec la plus grande noirceur des œuvres du français. Voir décrite la vie parisienne de cette fin de XIXème siècle dans la capitale, à l'aide de ces esquisses aussi légères que vivantes, aux tons doux si somptueux, a quelque chose de tellement « organique », que l'on est ébahi. Paris respire de ses effluves d'intellectualisme, de culture, de mystère, et la préciosité des dialogues entre protagonistes est à un niveau rendant justice à la langue de Zola, mais aussi à la poésie d'Henrich Heine, auteur juif allemand mort en 1856 ayant œuvré au rapprochement culturel franco germanique et cité en ouverture. Il y a de la Goulue dans ce Delicatessen, même si l'auteur nous montre davantage les bars et clubs ou l'on mange et où l’on boit, que la danse des cabarets. Quant à l'aspect gastronomique et basse-cour, la Ferme des animaux d'Orwell apparaît comme une sorte de clin d’œil, sans vouloir trop révéler de l'intrigue, et bien que l’éditeur nous renvoie surtout au petit film muet Le Cochon danseur (Pathé, 1907). Le Nyctalope et le roman feuilleton de type Vampire et Fantômas rattacheront aussi l'étrange Monsieur Dulac, grimpant aux murs et sautant tel un orang-outan d'une certaine rue Morgue, à ces premiers « super-héros » français. Tout le panel de ces années fantastiques est donc convoqué, hommage à une époque que peu d'artistes de bande dessinée ont réussi à aussi bien rendre que Lucas Nine. Ce Delicatessen est prenant, exigeant dans son approche de style, et surtout éminemment goûteux, comme dans ces lieux de gastronomie, cela va de soi. Il nous laisse cela dit sur une légère frustration. Peut-être retrouverons-nous un jour prochain une suite à ce feuilleton qui ne dit pas son nom ?