L'histoire :
Des bébés-cadres en costumes-cravates posent d’emblée la question : « c’est quoi, le managemental ? » Un consultant au long cou souple répond : c’est une maladie étrange qui affecte de nombreuses entreprises ou administrations, et qui produit des procédures inutiles, des décisions absurdes, des organisations insensées. Les symptômes sont diffus et pour en cerner les contours, il faut se pencher sur différents aspects. Commençons par la discrimination. Par exemple, refuser un candidat noir ne signifie pas qu’on est raciste, mais que les clients le sont… Ou encore, respecter la parité ne pose aucun problème, à condition de n’embaucher que des femmes ménopausées…Un autre fragment du managemental intéressant à étudier porte sur la réinvention de l’entreprise, lorsque celle-ci se porte mal. En pareil cas, il est demandé aux cadres supérieures de se mobiliser fortement, non pas pour trouver de nouvelles idées, mais pour embaucher des consultants créatifs. Dans ce cadre, tous les modèles sont permis, même les plus fous, pourvu qu’au final ils soient très très très rentables. Toute autre alternative serait donc un cuisant échec…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après des années passées en tant que consultant en management dans une grande entreprise, Etienne Appert met son expérience professionnelle, le recul apporté par ses études en philosophie et son habile coup de crayon, au service de cette synthèse cynique, poétique et salutaire d’un monde superbement kafkaien. Cet exercice de style résulte sans doute de plusieurs années de catharsis graphique et porte sur ce qu’il appelle le managemental. Ce néologisme générique condense selon lui tous les maux des grandes « organisations » professionnelles, lorsqu’elles sont phagocytées par leur propre masse, étourdies par leur inaptitude à résoudre l’insoluble, uniquement capables de prendre des décisions absurdes. Mettant en scène une clique de personnages récurrents dotés de formes adaptées à leur condition (le patron est énorme et bossu, le consultant a un long cou, le junior une tétine à la bouche…), Appert ajoute de la poésie dans des paradigmes qui en sont d’ordinaire totalement dépourvus et donne intelligemment formes et vie à l’abstrait. Il aborde la chose par grandes thématiques : les consultants, qui couche avec qui, les discriminations, le marketing, les juniors, les labels qualités… Généralement présentés comme des sciences réservées à de rares initiés, ces domaines sont souvent du gros pipeau bien faisandé. Avec ironie et légèreté, Appert prouve qu’il s’agit surtout d’un art de déléguer, de prioriser les apparences, de refiler des patates chaudes, de fourrer la poussière sous le tapis, de faire ronfler les concepts, de marier l’humain aux contraintes, de tout réduire en synthèses molles, de placer l’éthique en bout de chaîne de décisions… et d’en retirer un maximum de gloriole ou de fric. Ou comment tourner incessamment autour des problèmes sans jamais les résoudre, de tous réfléchir ensemble pour adopter la non-solution fumeuse d’un seul. La plus-value magnifique de ce petit ouvrage au format paysage est de ne jamais être aigre et, au contraire, toujours réjoui. Appert surclasse la simple dénonciation et offre même des pistes de sorties, vraies et simples : ne pas couper les humains d’eux-mêmes, de leur profondeur, et cultiver en soi les bonnes valeurs. Si vous aimez les films de Terry Gillian (et notamment Brazil…), ou la série TV Working girls vous allez être ravis !