L'histoire :
Le 15 janvier 2004, vers 12h20, le chalut breton « l’Eridan » est en campagne de pêche par une mer calme (météo « maniable »), au large des côtes des Cornouailles britanniques (côte anglaise sud). Soudain, le capitaine reçoit un message d’alerte par radio d’un chalutier ami, le Bugaled Breizh. « Serge, on chavire, vite ! ». Il a juste le temps de noter la position et fait aussitôt route vers la zone. En moins d’un quart d’heure, il y est mais… la mer est vide. Des débris flottant à la surface indiquent que le plus tragique est arrivé : le Bugaled Breizh a fait naufrage et ses cinq marins sont portés disparus. Aussitôt, les centres opérationnels français et anglais sont prévenus. Un hélico arrive peu après sur zone, alors que les marins de l’Eridan repèrent un canot pneumatique rouge… hélas vide. Le temps se gâte. Tandis que les plongeurs de l’hélico cherchent à retrouver des rescapés, l’équipage de l’Eridan repère encore un pneumatique, orange cette fois. Il est 12h50 lorsque l’armateur Michel Douce débarque en panique au Café du Port de Loctudy, pour annoncer la catastrophe : son bateau a chaviré, ses marins sont certainement tous morts. Attablé pour le déjeuner, le vieux journaliste Arthus Bossenec sent qu’il tient là le sujet qu’il lui faut pour remonter sur la première marche du podium. Par devoir de Mémoire envers les marins disparus et leurs familles, mais aussi pour exorciser ses vieux démons, il met à point d’honneur à chercher la vérité. Il suspecte notamment que le responsable de cet accident est un sous-marin en plein exercice militaire, une hypothèse que cherche à tout prix à dissimuler la Grande Muette…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
« L’affaire » du Bugaled Breizh (« enfants de Bretagne ») suscite émois et scandales depuis la survenue de cette tragédie en janvier 2004, qui a causé la mort de cinq marins-pêcheurs. Et pour cause : l’hypothèse la plus probable pour le naufrage de ce chalutier – « violemment entrainé par le fond par un sous-marin en exercice » – n’est toujours pas reconnue par la Grande Muette. L’armée se confond entre déni et sceau du secret-défense. Il fallait être breton et rompu à l’exercice narratif des affaires criminelles en BD pour s’attaquer à ce sujet. C’est le cas de Pascal Bresson, qui a déjà retranscrit les affaires Dominici et Seznec pour le 9ème art. Le dessinateur Erwan le Saec, lui aussi breton et habitué aux gangsters de la Mafia Story colle plutôt bien, également, à ces prérequis. Les auteurs ne cherchent nullement à rajouter de l’huile sur la polémique, mais à coucher les faits avérés sur papier, tout en préservant une soupape romancière afin de ne pas entrer dans la sordide danse judiciaire. C’est le vieux journaliste fictif Arthus Bossenec qui endosse cette charge dans l’album. Tiraillé par ses démons, ce personnage met un point d’honneur à couvrir de son mieux les investigations, par respect envers les familles et les travailleurs de la mer. Il est le prétexte à la longue enquête qui se déroule, mais aussi le véhicule d’un zest d’humour (sa relation avec la flicaille locale), afin d’alléger la gravité du sujet. Edité par la petite maison d’édition Locus Solus, le roman graphique en noir & blanc, complété de niveaux de gris, s’étale sur 140 planches. Mais Bresson sait y faire pour que la narration ne soit jamais fastidieuse, alternant les flashbacks de l’accident, les investigations policières et les nombreux palabres nécessaires, en divers lieux. Sans doute par pudeur, l’accident et ses victimes ne sont néanmoins jamais mis en scène. L’évocation des faits et des déclarations, détaillées et limpides, voire parfois un schéma utile, suffisent. Ce bouquin dénonce surtout qu’au-delà de la mort des marins, le scandale tient dans l’entretien du flou et les manipulations juridiques. Par incompétence(s) ou par lâcheté(s) ? Peut-être la vérité sera-t-elle un jour établie. Peut-être…