L'histoire :
7 juin 1976, pour commencer son journal intime, Elliot se présente. Il a sept ans, il aime la Torino de ses parents. Tellement, qu’il l’entoure de cœurs. Il dessine un portrait en pied de lui et ses parents, sourit sur le dessin, comme sa maman et le soleil. Son papa, lui, ne sourit pas. A l’intérieur de la Torino, maman s’agace car son père n’en fait qu’à sa tête quand elle lui indique le chemin à suivre depuis la carte routière posée sur ses genoux. La voiture s’arrête brusquement sur le bas-côté, le père sort une cigarette et l’allume… Il souffle la fumée, se tourne vers sa femme et… lui fracasse la tête contre la vitre passager. « Ta mère fait juste un petit somme » dit-il a Elliot, choqué sur la banquette arrière. Sur ce, la Torino reprend la route, le père allume le poste de radio et fredonne la chanson qui envahit l’habitacle. Le temps d’un regard sur le corps de l’épouse morte et la voiture percute un cerf. Les deux passagers encore vivants sont indemnes, mais la voiture ne repartira pas. Impassible, le père annonce au fiston qu’il va chercher des clopes et une dépanneuse. Ce sera les dernières paroles du père, qui disparait de l’enfance d’Elliot à ce moment précis. La voiture du shérif passant par hasard dans le coin, s’arrête devant Elliot, prostré au pied d’un arbre. L’adjoint Sam jette un coup d’œil à la voiture… c’est horrible, il y a le cadavre d’un cerf ! Il faudra attendre la dépanneuse pour qu’ils s’aperçoivent qu’il a aussi le cadavre de la mère à l’intérieur…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Derrière la couverture originale, façon journal intime en cuir marqué par le temps, l’entrée en matière enfantine, au crayon de couleur, est un leurre. Ce qu’il faut retenir de la première page, c’est l’air du père sur le portrait de famille. Il annonce clairement le ton à venir : sombre. Pourtant, le dessin continue à brouiller les pistes, coloré, avec des contrastes surexposés. On est ici dans le sombre lumineux. Le père, sorte de Stan Smith (American Dad) anguleux, va très tôt détruire la vie de son fils, avant de disparaître (à jamais ?) en allant acheter des clopes. Laissant sur la route Elliot et trois cadavres : sa femme, un cerf et la Torino. Les personnages aux bouilles déglinguées, avec un air sympathique néanmoins, ne seront jamais prix Nobel de quoi que ce soit. Un côté « arriéré » se détache des réactions de nombreux protagonistes. Et si Elliot semble au-dessus du lot, il n’est pas exempt de sérieux travers à son tour ; au moins lui reconnait-on désormais des circonstances atténuantes. Le choix d’entrecouper l’histoire par les pages du journal intime du petit induit une empathie réflexe pour le « héros ». En immergeant le lecteur dans son innocence d’enfant, puis de jeune homme, le scénario touche la corde émotionnelle, renforçant du même coup l’intensité du récit. Et ça fonctionne plutôt bien. Avec un trait exacerbé qui rappelle un peu la série d’animation Les lascars, Raoul Paoli révèle des influences multiples comme les Simpson, South park, Breaking Bad, à en croire les clins d’œil disséminés. Les expressions des multiples personnages « à gueule », au même titre que les couleurs, sont mixées à fond, atténuant la noirceur des situations, qui oscillent en permanence entre drame, série B et loufoquerie. A partir d’une trame classique « à l’américaine », Shuky instaure à contre-pied une atmosphère suffisamment légère pour que chaque rebondissement (souvent trash) prenne au dépourvu ; jusqu’au point de faire revenir en arrière pour être sûr d’avoir bien lu. Les incursions impromptues de ce ton délirant impriment un rythme particulier et agrippent l’attention. Elliot deviendra-t-il le gangster qu’il rêve d’être? Comme c’est plutôt mal parti, ça stimule la curiosité, et avec au moins deux tomes à venir, nul doute quelle sera satisfaite !