L'histoire :
Dans une grande ville apparentée à New-York, Stan Kravensky est un winner très en vue. En effet, il conçoit et présente des émissions-spectacle à très forte audience, qui font la joie de ses patrons. Dans ces jeux télévisés, les participants s’engagent à remettre leurs fondamentaux en question, dans un défi qu’on pourrait résumer par « quitte ou double ». Ainsi, monsieur Walpers a-t-il été obligé de brûler une collection de timbres de 30 ans, qui donnait sens à sa vie. A priori, Stan s’en bat l’œil, tel un handicapé des sentiments. Après tout, les candidats savent à quoi ils s’engagent, le deal ne leur est jamais imposé. Toutefois, Stan sait y faire pour les inciter à signer le contrat qui les lie à la production. Nul ne résiste à son chant de sirène. Est-ce en raison de cela qu’il a des angoisses ? Son pouvoir et la maîtrise de sa carrière le rendent-ils heureux ? Se souvient-il de son enfance innocente ? Des images le parcourent. Il rencontre un vieux pêcheur muet, sur le port, qui l’invite à manger un morceau et à participer à une partie de pêche. Mais existe t-il réellement ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Entre chronique sociale et roman graphique, ce one-shot passe à deux doigts du chef d’œuvre. Imaginé par Joseph Safieddine, le récit se focalise sur la vie ébouriffante de Stan, vedette du petit écran totalement phagocyté par les strass des mass-médias. Il est ici question de pouvoir, mais non de pouvoir politique : le pouvoir premier d’influer sur autrui et sur les masses. Celui qui se conforte avec la parfaite maîtrise d’une émission-concept et le succès d’audience qui l’accompagne. Très flou au départ, le propos s’affine et parvient peu à peu à dénoncer les effets grisants et quasi narcotiques de ce puissant pouvoir, sans mettre totalement en accusation le personnage central qui en abuse. Stan est ici lui aussi une victime d’un lui-même qu’il ne contrôle plus : il en a conscience, mais il est trop tard. Son destin l’a d’ores et déjà avalé tout entier. L’analyse socio-psychologique – de l’individu d’une part, mais plus globalement de la « collectivité humaine occidentale développée » dans son ensemble – est donc virtuose. Elle peine toutefois à être totalement compréhensible lorsqu'elle verse franchement dans des séquences oniriques, comme issues de réminiscences d’un passé qu’on s’esquinte à reconstituer clairement. Le récit se marie en revanche en totale harmonie avec le dessin d’Olivier Bonhomme, très (très) proche du registre d’un certain Nicolas de Crécy (waoh !). Son trait fin un peu grelotant, rehaussé de quelques teintes monochromes tristes à l’aquarelle, fait mine de suggérer, pour finalement poser précisément les choses. Cette griffe moderne exagère au besoin les proportions et les profondeurs, comme au travers d’un miroir déformant, pour souligner l’emprise vertigineuse du monde contemporain. Un conte moderne et grave, qui fait réfléchir tout autant qu’il angoisse…