L'histoire :
Quelque part à Venise, un homme qui semble aussi usé que le costume qu'il porte se lamente sur son sort. Il aimerait bien échanger de temps en temps quelques mots avec des gens, mais hélas, il y a bien longtemps qu'il n'a plus rencontré personne. Pourtant, le quartier dans lequel il vit n'est pas vilain. Il y a même eu autrefois d'importantes demeures et des familles de haut rang. Il se souvient des Querini Stampalia, une famille qui comptait vraiment, pas comme ces parvenus devenus riches on ne sait comment... Bien sûr, il faudrait nettoyer et restaurer un peu l'ensemble et tout cela lui tiendrait compagnie. Sans compter que des mécènes pourraient ainsi passer à la postérité... En passant sur un pont, l'homme continue sa marche, qu'il agrémente d'un monologue. A moins que ce ne soit l'inverse... Ainsi, il est toujours seul et c'est ainsi qu'il erre entre les vieilles maisons. Pas âme qui vive. Cet homme ne souhaite évidemment pas de culs-terreux, mais il apprécierait la compagnie de quelque voisin. Et les jours s'écoulent, toujours semblables, dans sa solitude....
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
On ne le dira jamais assez : Sergio Toppi était un conteur à nul autre pareil. Féru de SF et d'anticipation, il se frotta au genre et cet album reprend, au fil de ses 116 pages, neuf histoires courtes conçues pour des revues et publiées entre 1982 et 1994. Le bond dans le temps que l'italien propose contient toute l'acidité de son œuvre, qui ne cesse de mettre en scène la médiocrité des hommes. Et c'est en cela que son message universel devient intemporel. Bien sûr, les ressorts narratifs se renouvellent sans cesse, mais chaque histoire dispose d'une chute qui arrache un sourire doux-amer au lecteur. Ainsi, l'album débute avec Roi des mendiants, an de grâce 10982. Et si vous vous souvenez de la Venise éthérée d'Hugo Pratt, vous découvrirez avec Toppi une cité lacustre des plus inquiétantes. Et pour cause, il n'y reste qu'un homme ! Ce qu'on notera également, c'est le recours à l'absurde, qui colle parfaitement à des univers que l'auteur ébauche à peine. Mais son talent, dans ce qu'il montre, mais aussi dans ce qu'il suggère, fait que chaque nouvelle ressemble à un petit univers qui se suffit à lui-même. Une prouesse narrative, doublée de celle visuelle, avec ce noir et blanc, ses lignes géométriques et un découpage qui donne toujours le vertige. Bien sûr, on trouvera entre les lignes de nombreuses références, comme avec Poste frontière, hommage évident au Désert des Tartares de Dino Buzzati. Inutile d'en dire plus, c'est du Toppi, donc synonyme d'indispensable !